Prenez-en de la graine !

Cette chronique a été rédigée pour l’épisode de Podcast Science 461, sur le thème de « la chute ».

Alors que dans le monde animal, on peut facilement user de ses membres pour aller se promener, trouver un partenaire, se reproduire, s’installer dans de nouveaux milieux pour élever sa progéniture dans les meilleures conditions possibles… les plantes sont malheureusement condamnées à rester plantées là, racines fermement ancrées dans le sol !

C’est sans compter sur des millions d’années d’évolution, qui leur ont permis de compenser leur manque de mobilité. Dans l’article « Bouquets de fleurs et cartes pistils« , et la vidéo disponible sur la chaîne La Boîte à Curiosités, nous avions déjà évoqué un évènement important de la reproduction des plantes à fleurs : la pollinisation. Les plantes usent de toutes sortes de stratégies et d’alliés, parfois surprenants, afin d’assurer la fécondation d’un ovule par un grain de pollen. Mais la fécondation n’est que la première partie de la grande histoire de la reproduction. Après cet événement, l’ovule deviendra une graine, qui elle aussi peut vivre toutes sortes d’aventures formidables !

Mais qu’est ce qu’une graine au juste ?

Une graine, c’est un petit paquet de vie bien emballé, parfois dans un fruit, parfois pas. Un sac contenant de l’ADN , des protéines, et des réserves nutritives sous la forme d’amidon qui peuvent résister à des conditions extrêmes et parfois se conserver des milliers d’années…
Chaque graine comporte trois parties :
– une enveloppe, qu’on appelle le tégument;
– une couche de réserves nutritives, qu’on appelle l’endosperme;
– un embryon qui se développe suite à la fécondation d’un ovule;

L’embryon reste en dormance, bien à l’abri, jusqu’à ce que toutes les conditions soient réunies pour que la germination ait lieu. Et au moment de la germination, cet embryon se développe faisant émerger des cotylédons (les premiers organes de réserve) ou les premières feuilles, le radicule, couvert de poils racinaires, et un axe de tige baptisé épicotyle pour sa partie au dessus du cotylédon et hypocotyle dans sa partie au dessous.

La germination – Salsero35 – CCBYSA4.0

Je n’épiloguerai pas sur le passionnant phénomène de levée de dormance des graines, dont on tire parti lors de la fabrication de la bière, mais il faut que vous sachiez qu’il y a plusieurs types de graines et que ces caractéristiques déterminent leur « avenir ».
Certaines graines sont relativement petites et se dessèchent très bien, permettant à l’embryon d’attendre longtemps que les conditions redeviennent favorables. Ce sont les graines les plus fréquentes et les plus orthodoxes. De l’autre côté, certaines graines sont plus grosses, avec plus de réserves et résistent moins à la dessication. On appelle ça des graines « récalcitrantes ». Entre 20 et 25% des plantes produisant des graines sont récalcitrantes. Gardez ça en tête pour la suite.

Les premières plantes capables de générer des graines sont apparues vers la fin du Dévonien, il y a 360 millions d’années. Pendant tout ce temps et au fil des nouvelles espèces, je vous laisse imaginer la diversité de plantes et de graines qui ont eu le temps d’émerger depuis ce moment là ! Et c’est un fait : il existe littéralement des centaines de milliers de graines différentes. Que deviennent-elles exactement ?

Le devenir des graines

On peut déjà se mettre d’accord sur un principe assez simple: comme nous, habitants de la Terre, les plantes sont soumises à l’attraction terrestre, donc à la gravité. Peu importe sur quelle plante elle se trouve, une graine est donc destinée à… chuter. De plus ou moins haut!

Les graines les plus lourdes tomberont généralement le plus proche de la plante parente, phénomène que l’on appelle la barochorie, tandis que les graines les plus légères pourront être dispersées par le vent, on parle alors d’anémochorie. Les noisettes, les châtaignes et la plupart des graines les plus courantes que vous connaissez se propagent sur le mode de la barochorie.

Seulement voilà : pousser juste à côté de la plante qui nous a fabriqué, c’est risquer d’entrer en compétition, voire de ne pas germer du tout jusqu’à ce que notre plante mère meure…

Pour ralentir cette chute et être dispersées plus loin, certaines graines ont donc opté pour des parachutes, comme le pissenlit… pour des ailette comme les érables ou encore pour des ailes ! C’est le cas d’un exemple extrême comme Alsomitra macrocarpa. Ces appendices portent généralement le nom de samares.

Si on s’attarde un peu sur la stratégie de vol de l’akène de pissenlit… dites-vous d’ailleurs que ce n’est pas qu’un simple parachute ! Explications en thread :

Pour découvrir un autre type de parachute élégant, on peut penser aux fruits de l’épilobe en épi. La capsule qui le contient se sépare en fines lamelles, permettant aux petits parachutes de bénéficier d’une pleine prise au vent ! Démonstration en vidéo :

Certaines sont vivement colorées pour être dispersées par des animaux, comme par exemple l’arille de l’if, rouge vif (Taxus baccata), l’arille orange vif de la fleur surnommée « oiseau de Paradis » (Strelizia reginae), ou encore l’arille bleu ciel de l’arbre du voyageur (Ravenala madagascariensis). Les deux premiers se font disperser par les oiseaux tandis que le troisième a la faveur des lémuriens ! On peut parler ici de zoochorie.

Un arille bien utile pour nous est d’ailleurs celle, rouge vif, de la noix de muscade (Myristica fragrans). Elle est connue sous le nom de « macis » ou « fleur de muscade » et rentre dans la composition de nombreux plats. Son goût est à mi-chemin entre la cannelle et le poivre.

Arille de la noix de muscade – Macis

D’autres graines ont un appendice nutritif plein de protéines et de lipides que l’on appelle l’élaiosome, ce qui les rend attractives pour des insectes comme les fourmis, qui vont les déplacer dans leur nid, où elles pourront parfois germer. Pour plus d’informations sur les interactions plantes-fourmis, rendez-vous dans l’épisode dédié de Podcast Science. Lorsque les insectes disséminent les graines, on peut parler d’entomochorie, voire de myrmécochorie si la dispersion est assurée exclusivement par les fourmis.

Graines à élaiosomes

Certaines graines se trouvent dans des dispositifs plus… explosifs ! C’est le cas de la violette (Viola odorata), de balsamine de l’himalaya (Impatiens glandulifera), dont la capsule éclate à maturité, libérant des graines… ou encore le concombre d’âne, Ecballium elaterium, dont la pression monte à l’intérieur jusqu’à ce que le fruit se détache de la tige, propulsé par du jus et des graines sous pression. Lorsque la plante projette elle même ses graines, on parle généralement d’autochorie.
Quelques exemples dans cette vidéo :

On parle moins souvent des graines de l’arbre bombardier, (Hura crepitans) dont les fruits explosent au contact de l’eau une fois bien secs, projetant les graines à plusieurs dizaines de mètres de hauteur, à une vitesse de plus 200km/h ! La preuve en vidéo un peu plus bas.

Fruit de l’arbre bombardier

Pour un autre exemple, moins connu, de graines explosives est le fruit de Cyclanthera brachystachia, aussi surnommé « Concombre des pauvres » et de la famille des Cucurbitacées (comme la citrouille).


Quelques graines sont parfaitement adaptées à une dissémination par la fourrure d’animaux. C’est le cas d’Uncarina grandidieri, un petit arbre de Madagascar (dont la graine est particulièrement impressionnante) – ou, plus connu, des graines de bardane, qui ont inspiré le velcro. On parle de zoochorie.


Certaines plantes mélangent les stratégies de dissémination. C’est le cas par exemple du faux nénuphar (Nymphoides peltata), une plante invasive aquatique dont la graine flotte pour se disséminer dans l’eau (on parle d’hydrochorie), mais peut aussi s’accrocher à la fourrure des animaux grâce à de petits crochets.

Ou encore, cette plante très particulière, Aethionema arabicum – dont les graines peuvent s’adapter à la situation puisque la plante en produit deux types différents. Un type de graine est capable de se recouvrir d’une substance visqueuse en cas de pluie, pour s’ancrer au sol. L’autre type de graine a des petites ailettes qui vont lui permettre de se transporter plus loin par temps de sécheresse. Une stratégie que vous pouvez découvrir dans ce fil twitter :

Chose impressionnante : une stratégie de dispersion n’est pas forcément gravée dans le marbre pour chacune de ces espèces, et peut évoluer au cours du temps. Il y a quelques années, une équipe de recherche s’est pas exemple rendu compte que le Crépis de Nîmes (Crepis sancta), une plante de la même famille que le pissenlit, produisait en ville, au fil des générations de plus en plus de graines lourdes. Ce qui paraît contre-intuitif puisque nous disions qu’on avait tout intérêt à aller se planter plus loin que son parent lorsqu’on est une graine… mais qui fait sens si on se dit que désormais en ville, la plupart des sols sont bétonnés. Il est donc plus intéressant de s’implanter à proximité, dans un patch de terre, que d’aller plus loin… mais pas suffisamment, et de s’échouer sur du bitume !

Les graines de tous les records

Pour terminer cette chronique, je vous propose deux ou trois records que vous pourrez fièrement ressortir en anecdotes à vos repas de famille pour les fêtes.

A la question « quelle est la plus petite graine du monde ? »- il y a deux réponses qui circulent sur le net : la première selon la Bible (hé oui.), la deuxième selon les scientifiques.

Selon Jésus de Nazareth, il s’agit de la graine de moutarde. Non je ne rigole pas ! On retrouve cette affirmation dans la Bible :

Jésus dit encore: « A quoi pouvons-nous comparer le Royaume de Dieu ? Au moyen de quelle parabole allons-nous en parler? Il ressemble à une graine de moutarde; quand on la sème dans la terre, elle est la plus petite de toutes les graines du monde. Mais après qu’on l’a semée, elle monte et devient la plus grande de toutes les plantes du jardin. Elle pousse des branches si grandes que les oiseaux peuvent faire leurs nids à son ombre.» – Marc 4:30-32

Selon les botanistes, il s’agit en réalité des graines de certaines orchidées épiphytes (c’est à dire qui vivent à la surface d’autres arbres par exemple). J’aurais personnellement tendance à rejoindre les botanistes sur la question : ils ont probablement vu beaucoup plus de plantes que Jésus de son vivant, et au moins leur récit est de première main. Jésus n’est pas très bon botaniste ou même jardinier non plus visiblement, puisque la moutarde ne fait pas de branches et ne dépasse pas 90cm en général… Un vrai débat théologique d’interprétation existe en tout cas autour de cette parabole de la graine de moutarde !

Pour lever le suspens, l’espèce à qui on attribue le record de la plus petite graine est Gomesa crispa, une petite plante sud-américaine de la famille des Orchidaceae.

La plus petite graine du monde est quasiment invisible à l’oeil nu, puisqu’elle mesure autour de 85µm, pour 0,8µg. Pour vous donner une idée, c’est moins que la taille de certaines grosses cellules végétales, donc moins d’un dixième de millimètre, oui. A quoi cela sert-il d’être aussi petit pour une graine ? A l’instant où les capsules qui les renferment s’ouvrent pour les libérer, elles s’envolent comme des poussières vers la canopée ! Cela leur permet d’être déposées au sommet des grands arbres et de germer en hauteur.

Edit : Il semblerait qu’une espèce calédonienne soit la plus courte, avec 50µm. Il s’agirait de Anoectochilus imitans, de la famille des orchidées bijou.

Du côté de la plus grosse graine du monde, pas de controverse : il s’agit du très célèbre cocofesse, le fruit du Coco de mer (Lodoicea maldivica). Son poids l’empêche de flotter, contrairement au cocotier (Cocos nucifera), mais la plantule peut fonctionner pendant très longtemps sur ses réserves. Ceci explique que ce soit une plante endémique des Seychelles, son archipel d’origine. Je vous laisse méditer aux conséquences de la chute d’une telle graine sur un touriste qui aurait décidé de faire une sieste à l’ombre pour finir cette petite chronique. J’espère que cette chronique ne vous aura pas fait le même effet !

Nous n’avons bien sûr pas parlé des graines les plus résistantes, mais sachez qu’il existe un phénomène de rétention des graines de certaines espèces, qui ne sont libérées et ne peuvent germer qu’après le passage du feu ! On appelle cela la pyriscence. C’est le cas de plusieurs conifères dont les séquoias géants, ou des banksias.

Banksias après un incendie – Catherine Collins – Wikicommons

La graine la plus vieille ayant re-germé dans des conditions de stockage naturelles est le palmier dattier (Phoenix dactylifera) surnommé « Mathusalem », dont une graine prélevée par des archéologues suite à des fouilles a germé en Israël en 2005… après 2000 ans de conservation dans une jarre !

Mathusalem, le palmier dattier de Judée – Benjitheijneb – Wikicommons

Plus fort, mais germé in vitro cette fois-ci, des graines de Silene stenophylla, retrouvées en 2012 dans le permafrost sibérien et datées de… 32000 ans !

Métaphysique des graines

Puisqu’on parle de chute dans ce dossier, je vous partage deux trois réflexions que je me suis fait en écrivant cette chronique. Depuis la période que certains appellent l' »Anthropocène », l’ère de l’humain (qui n’a pas été reconnue officiellement comme une ère géologique) – nous sommes devenus des disséminateurs de graines aussi sûrement que les autres animaux ! Il existe même une série de termes pour désigner la dissémination de graines par l’humain, volontaire ou non : l’anthropochorie. Plus spécifiquement, le transport de graines par les activités humaines comme les cultures ou avec les animaux domestiques s’appelle l’hémérochorie.

Le sujet des graines est passionnant en soi, puisque notre alimentation toute entière repose sur elles : maïs, blé, riz, orge, avoine, sarrasin… toutes nos céréales et nos légumes secs (lentilles, fèves, haricots…) sont des graines comestibles dont on dérive des centaines de produits manufacturés. L’agriculture a produit toutes sortes de variétés de ces espèces pour nous permettre de subsister. Mal gérées, ces ressources peuvent venir à manquer, signant quelque part notre arrêt de mort.

Si la « Révolution Verte » du XXe siècle, ayant conduit à l’intensification des cultures dans le monde nous a permis de sauver des millions de gens de la famine, elle a aussi détruit une grande partie des espaces naturels pour les remplacer par des espaces de culture. On sait désormais que notre façon d’utiliser les ressources pose un problème de durabilité, on se le répète constamment – et la tendance n’a pas l’air de s’inverser. Si on devait subir un effondrement global, peut-être que les graines, qui voyagent si bien à travers le temps et l’espace seront la solution pour restaurer l’environnement du futur. Certains scientifiques espèrent bien faire traverser le temps à un maximum de graines en les stockant dans des banques de graines, comme celle de Svalbard en Norvège. Une véritable « arche de Noé végétale » qui pourrait bien survivre à notre propre chute !
Mais attention, comme je vous le disais en début d’article, près d’un quart des graines ne résistent pas à la dessiccation et sont « récalcitrantes », dont pas mal de graines d’intérêt alimentaire qui ne se conserveraient pas si longtemps que ça. L’arche de Noé ne sauvera donc pas tout… espérons que la « chute » ne dure pas trop longtemps !

L’entrée de la réserve de graines de Svalbard – Einar Jørgen Haraldseid – CCBYSA2.0

Quelques références :

Smith, D. P. The Book of Seeds: A lifesize guide to six hundred species from around the world. (The Ivy Press, 2018).

Hanson, T. The Triumph of Seeds: How Grains, Nuts, Kernels, Pulses, and Pips Conquered the Plant Kingdom and Shaped Human History. (Basic Books, 2016).

La Seed Information Database de Kew Gardens – vous y retrouverez toutes les caractéristiques des graines de n’importe quelle espèce !

Swaine, M. D. & Beer, T. Explosive Seed Dispersal in Hura Crepitans L. (euphorbiaceae). New Phytologist78, 695–708 (1977).

Cheptou, P.-O., Carrue, O., Rouifed, S. & Cantarel, A. Rapid evolution of seed dispersal in an urban environment in the weed Crepis sancta. PNAS 105, 3796–3799 (2008).

Publié par Le Plantoscope

Diplômée de biologie végétale et ancienne chercheuse en biologie moléculaire et cellulaire, je suis maintenant dédiée à la vulgarisation scientifique autour de la biologie des plantes. Le Plantoscope est un outil pour voyager à travers les plantes et la botanique par des anecdotes et des explications simples et accessibles.

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