Bouquets de fleurs et cartes pistils – le sexe des plantes

Dans la vie se présentent parfois de drôles d’opportunités. Comme par exemple écrire une vidéo sur la vie sexuelle des plantes en compagnie de Marie, de la chaîne la Boîte à Curiosités. A l’occasion de cet épisode pas très politiquement correct intitulé « La vie sexuelle et insolite des plantes à fleurs », voici un billet de blog complémentaire pour approfondir le sujet. En espérant que tout cela vous passionne, je vous souhaite une bonne lecture !

L’apparition des plantes à fleurs

L’histoire des plantes est une très longue histoire. Pour les besoins de concision de cet article de blog et afin de ne pas vous embarquer dans la lecture d’une véritable encyclopédie sur le sujet, faisons un petit saut dans le temps et admettons que la première plante à fleur soit apparue il y a environ 150 à 200 millions d’années de cela.

Avant cette plante à fleur, il y avait bien des plantes à graines, comme les gymnospermes (ces plantes qui ressembleraient à des sapins ou à l’idée que vous vous feriez des plantes contemporaines des dinosaures).

Qu’est ce qui différencie donc les plantes « à fleurs » des plantes « sans fleurs » ? La réponse est simple : le sexe ! A partir de cette fameuse lignée des « plantes à fleurs », que l’on appelle les « Angiospermes » ou « Magnoliophytes » dans les classifications plus récentes, les organes sexuels de la plante sont contenus dans des fleurs, les ovules femelle sont protégés par un ovaire et l’embryon de plante, après fécondation, sera quant à lui bien protégé dans une graine contenant un tissu nourricier.

Des innovations salutaires et couronnées de succès dans la lutte pour la survie des espèces, qui vont conduire ce groupe à coloniser la planète. Les Angiospermes comptent pas loin de 400 000 espèces de plantes différentes, dont vous utilisez d’éminents représentants pour vous nourrir, vous loger, vous soigner… bref, une biodiversité importante dont nous, pauvres humains, sommes complètement dépendants, ce qui les rend vraiment très intéressantes à étudier.
Et vous allez voir que leur sexualité n’est pas banale non plus !

La première fleur

Mais de quand date la première fleur et à quoi pouvait-elle ressembler ?
Les plus vieux fossiles disponibles de plantes à fleurs nous viennent de Chine, dans la région de Liaoning. Ils sont datés de 124,6 millions d’années et représentent deux espèces : Archaefructus liaoningensis et Archaefructus sinensis (1). Les débats sont toujours en cours pour savoir si cette plante à fleur est une ancêtre de toutes les autres, ou s’il s’agit déjà d’une espèce spécialisée aquatique. Une autre découverte d’espèce fossile, nommée Nanjinganthus dendrostyla pourrait reculer la date d’apparition des premières Angiospermes de 50 millions d’années (2).

Une autre plante nous met sur la piste : Amborella trichopoda, seule représentante de sa lignée et dont l’ancêtre serait à la base de toutes les plantes à fleurs. Le génome de la plante, séquencé en 2013 (3) aide les scientifiques à mieux comprendre les différentes innovations qui auraient permis de passer des mousses, des fougères ou des gymnospermes aux plantes à fleurs. Cette plante a été retrouvée sur une île de Nouvelle-Calédonie, complètement isolée et est devenue une véritable star médiatique, figurant même sur des timbres désormais ! (4)

Se baser sur le génome et l’information contenue dans ce genre d’espèces « intermédiaires » a permis à certaines équipes de recherche d’essayer de retracer le portrait robot de la première fleur. L’image a fait le tour du monde et présente une fleur qui aurait eu plus de 10 pétales organisés en cercles de trois et comprendrait des organes mâles et femelles sur plusieurs cercles concentriques. (5)

Portrait robot de la « première fleur » théorique – Hervé Sauquet et Jörg Schönenberg

Toujours grâce à l’analyse de génomes, on a pu réévaluer la date d’apparition des premières fleurs grâce à une sorte de compte à rebours moléculaire. Résultat : l’ancêtre la majorité des Angiospermes aurait pu apparaître il y a 214 millions d’années, à la fin du Triassique. (6)

La fleur actuelle

La fleur actuelle a gardé les fondamentaux et l’on peut assez facilement l’observer soi même :

  • une partie intérieure comprenant l’organe femelle, le pistil (ou gynécée) et protégeant les ovules à l’intérieur d’ovaires fermés.
  • un cran à l’extérieur, les parties mâles (ou androcée), les étamines, portant les anthères, des structures remplies de pollen.
  • un cercle de pétales (la corolle) dont les formes et les couleurs nous laissent pantois
  • un cercle de sépales (le calice), qui ne sont ni réellement des pétales, ni réellement des feuilles, mais qui font la jonction entre la tige et la fleur.
    (lorsqu’on ne sait pas trop si on a affaire à des sépales ou à des pétales, on parle de tépales)
  • le tout porté par un pédoncule floral, portant la fleur en haut de la tige de la plante.
Schéma simplifié de la fleur – Plantoscope

Oui, comme moi vous pouvez à ce stade faire ce constat glaçant : les plantes sont de sacrées exhibitionnistes, dévoilant sans retenue leurs parties génitales à la vue de tous. Tomi Ungerer (très célèbre artiste alsacien, comment ça vous ne le connaissez pas ?) l’avait bien compris, l’illustrant dans sa série de fleurs débridées exposées au Musée Tomi Ungerer de Strasbourg.

Illustrations de Tomi Ungerer

Faire du sexe chez une plante à fleurs : une histoire de pollinisation

Dans une fleur, on a donc une partie mâle, une partie femelle… comment faire en sorte que ces parties se rencontrent, échangent leurs gamètes et se fécondent ? Chez les plantes à fleurs, tout l’enjeu va être de pouvoir faire se rencontrer la semence mâle (le pollen) et la partie femelle, le pistil.
C’est là que les choses se compliquent, car certaines fleurs sont uniquement mâles, d’autres uniquement femelles. D’autres sont hermaphrodites et contiennent les deux sexes, pouvant théoriquement s’auto-féconder… mais attention ! Le mélange doit se faire de préférence entre deux plantes totalement différentes, pour éviter toute forme de consanguinité !


Voici ce qu’il se passe : lorsque le pollen rencontre la surface moite et collante du stigmate femelle, un mécanisme de reconnaissance chimique se met en place. Si le pollen est « reconnu » comme acceptable par la plante (il doit être de la bonne espèce et de préférence pas du même individu), il va « germer » et faire pousser un long tube pollinique le long du style. Ce tube va rejoindre l’ovaire et permettre aux gamètes mâles de féconder un ovule. Plus fort encore, si on regarde attentivement, on se rend compte que ce qu’il se passe est plus complexe : on va assister à une double fécondation. La première cellule reproductrice mâle va bien féconder l’ovule pour donner l’embryon, mais une deuxième cellule va féconder ce qui deviendra les tissus de réserve de la graine, permettant à l’embryon de partir avec suffisamment d’énergie pour développer ses premières feuilles et racines avant de devenir autonome.

Pour compléter ce cycle de pollinisation et de fécondation (qui sont les deux phases distinctes nécessaires à la reproduction sexuée de toutes les plantes à fleurs), vous allez voir que toutes les stratégies sont bonnes. Y compris utiliser des mécanismes naturels ou recruter des mercenaires pour accomplir le job. En voici quelques exemples.

Stratégies de pollinisation

Du sexe dans le vent

Avant l’invention géniale de la fleur, on a pu voir dans le règne végétale de la fécondation par les spores chez les mousses et les fougères. Problème : les spores ont besoin d’un milieu aquatique pour se féconder. Ce n’est pas très pratique quand on prétend partir à l’assaut de toutes les terres émergées. Les conifères ont partiellement résolu le problème en créant des cônes : les cônes mâles envoient une dose colossale de pollen dans le vent, les cônes femelles contenant les ovules réceptionnent cette immense pluie dorée… si elles ont la chance d’être dans le sens du vent. Sur ce gif, le phénomène sur un cèdre.

Une façon pas très ciblée de s’envoyer en l’air, vous en conviendrez. Certaines plantes à fleurs comme le noisetier (Corylus avelana) ou plusieurs représentants de la famille des céréales (Poaceae) utilisent encore cette stratégie de pollinisation par le vent, qu’on appelle anémophilie ou anémogamie, du grec « anemos » = vent.

Une nuée de chatons mâles de noisetier, s’apprêtant à disperser leur pollen dans le vent – CC0 – manfredrichter

Du sexe aquatique

Certaines plantes à fleurs ont tout de même décidé que la vie était plus agréables sous l’eau et elles ont colonisé des milieux comme les rivières. Chez ces rares exemples, le pollen dépend des courants aquatiques. On peut citer la zostère marine (Zostera marina) qui fait de petites fleurs en épi, en bonne herbe aquatique. On parle d’hydrogamie (ou d’hydrophilie).

C’est également le cas, plus impressionnant, de la valisnérie (Vallisneria spiralis), dont les sexes sont séparés sur deux individus différents. La plante femelle, à l’aide d’un ressort va exposer ses fleurs à la surface, tandis que le mâle va envoyer son pollen rejoindre le courant de surface en l’enveloppant dans des bulles. L’histoire, fascinante est disponible en thread ici :

C’est original, mais en terme de ciblage on peut encore faire mieux. Figurez-vous qu’en 2016, une équipe a apporté la preuve expérimentale formelle que certains animaux aquatiques pouvaient participer à la pollinisation des prairies sous marines de la Méditerranée (7). De petits crustacés et des polychètes sont capables de transporter le pollen, enrobé dans une couche de mucilage collant depuis les fleurs mâles de Thalassia testudinum. Si ces animaux rencontrent une fleur femelle dont les stigmates sont tentaculaires, ils restent provisoirement « collés », donnant du temps pour que la pollinisation s’effectue.

Ver polychète sur lequel se sont collés deux grains de pollen (flèche et entouré) (7)

On parle ici de « benthozoophilie« , benthos désignant le fond marin, zoo les animaux et philie la reproduction. Littéralement : pollinisation par des animaux des fonds marins.

Du sexe apprêté

La phylogénie des Angiospermes

Le fleurs dont je vous parle depuis tout à l’heure sont relativement discrètes et vous avez sûrement l’habitude de ne remarquer que les plus spectaculaires. Vous vous projetterez donc très bien si je vous dis que les plantes à fleurs arrivent dans une multitude de formes et de couleurs. Ces couleurs sont dues aux pigments produits par la fleur et ces formes aux gènes impliquées dans la mise en place de chacun des organes mentionnés précédemment. Toutes les espèces de plantes présentent une déclinaison des éléments de base présentés plus haut : partie femelle, partie mâle, corolle de pétale, calice de sépales. Le nombre change, mais l’essence reste. C’est d’ailleurs grâce à ces variations de parties sexuelles que l’on parvient, en grande partie, à classer les plantes et à les organiser en familles.

Dans ce poster téléchargeable gratuitement sont représentés les exemples de fleurs des plus grandes familles d’Angiospermes, ainsi que leur lien de parenté.

Ce qui est intéressant, c’est de réaliser que les couleurs de ces fleurs ont un impact dans l’attraction de différentes espèces d’insectes. La plupart du temps, ce sont les pétales de la corolle qui sont utilisées comme outil d’attraction, chaque couleur permettant de prédire plus ou moins quel type de visiteur les plantes vont attirer. Les abeilles visitent plus les fleurs blanches, jaunes ou bleu clair et sont capables de visualiser des couleurs dans la gamme de longueur d’ondes de l’ultra-violet, invisibles à notre oeil. Les papillons diurnes seront plus attirés par les couleurs rouges ou pourpre, vives, de même que les oiseaux. Les animaux nocturnes repèrent plus facilement les fleurs blanches (plus de détails dans cet article). Les fleurs brunes ou noires seront plus aisément visitées par des mouches… et certaines fleurs développent même des « guides » colorés, comme des pistes d’atterrissage bariolées pour mieux aider leurs visiteurs à trouver le centre de la cible. (8) Pour les mener vers quoi me direz-vous ? C’est ce que nous allons voir.
La pollinisation par les animaux s’appelle la zoogamie ou zoophilie. Mais si les insectes sont des champions en matière de visite de fleurs… ce ne sont pas les seuls !

Du sexe tarifé

Pour inciter les pollinisateurs à leur rendre visite, certaines plantes jouent la carte de la générosité ! En distribuant une substance sucrée gratuitement, elles espèrent pouvoir s’octroyer les services d’insectes ou de mammifères affamés. C’est donnant donnant ! Cette substance nutritive contient des sucres en abondance, principalement du sucrose, du glucose et du fructose. En proposant cette source de nourriture dans des réceptacles stratégiquement placés au fond de la fleur, on peut forcer un insecte à faire un petit tour dans ses parties génitales avant de se restaurer, afin de le recouvrir de pollen qui voyagera vers la prochaine fleur !

Certaines plantes adaptent même la forme de leur fleur pour n’être accessible qu’à un certain type d’insectes. Les papillons par exemple ont une longue trompe permettant d’aspirer le nectar à la paille, même s’il se retrouve tout au fond d’une très longue fleur. C’est ce que l’on appelle le « syndrome de pollinisation« , une théorie qui assure que les fleurs ont évolué selon une morphologie précise, dépendant des pollinisateurs qui interagissent avec elle. Si elle se vérifie dans certains cas, elle n’est pas non plus une réponse à tout et beaucoup de plantes ne mettent pas leur pollen dans le même panier, utilisant plusieurs stratégies de pollinisation simultanément. (9)

Angraecum sesquipedale et son pollinisateur supposé – Thomas William Wood – 1867

L’exemple le plus marquant de ce syndrome de pollinisation est l’histoire de l’orchidée Angraecum sesquipedale, surnommée « l’orchidée de Darwin ». Cette fleur de Madagascar a un éperon au fond duquel se cache du nectar. Au 19ème siècle à l’époque de sa découverte, aucun insecte connu n’aurait pu atteindre cette manne. Les naturalistes comme Darwin ont donc « prédit » l’existence d’un insecte portant une trompe de taille équivalente à la longueur de la fleur. Cette espèce, c’est le Xanthopan morganii, qui n’a été observé qu’en 1903 pour la première fois, puis filmé en flagrant délit bien des années plus tard. Les chercheurs ne sont toujours pas d’accord sur les mécanismes à l’oeuvre dans cet exemple de co-évolution. (10)

Certaines plantes ont un nectar riche en levures qui assurent la fermentation du breuvage. C’est le cas du Palmier Bertam (Eugeisonna tristis), bien surnommé « palmier brasseur ».
Ses fleurs sont bien scellées, ce qui permet au nectar de parvenir, en l’espace de 5 à 6 semaines à un degré alcoolique de 3,8%. Pendant une journée, le bar s’ouvre et les fleurs arrivent à maturité. Les visiteurs assoiffés, principalement de petits lémuriens et primates comme le toupaye, le plitocerque à queue plumeuse ou le loris lent. La plitocerque est connu pour résister aux effets de l’alcool et c’est donc un excellent pollinisateur pour ce palmier.

Plitocerque pris en flagrant délit de consommation de boisson (11)
Visiteurs de la liane Rousseau (12)

Du côté de l’île Maurice, chez la liane Rousseau (Roussea simplex), le pacte est conclu avec un gecko diurne à queue bleue (Phelsuma cepediana) ainsi que bulbul mauritien (Hypsipetes olivaceus). (12) Certaines plantes comme Leucosceptrum canum ont même un nectar très coloré qui est préféré par les geckos à un nectar clair. (13)

Geckos cherchant du nectar coloré (13)

La mécanique du sexe

Parfois, il arrive qu’un peu de mécanique entre en jeu pendant l’acte sexuel… Vous avez probablement tous déjà vu la fleur de sauge, de la famille des Lamiaceae, et sa fleur en forme de « lèvres ». Figurez vous que dans la « capuche de la fleur », la lèvre supérieure, se cachent deux étamines. Si une abeille tente de rentrer au fond de la corolle pour y chercher du nectar (ci-dessous la démonstration avec un petit bâton), un mécanisme de balancier va lui donner une petite fessée, couvrant l’intruse de pollen. Il n’y aura plus qu’à visiter la fleur suivante pour aller la féconder !

Chez certains plantes comme les tomates (du genre Solanum) ce sont les bourdons qui travaillent ! Et les bourdons ne sont pas seulement attirés par le nectar, mais aussi par le pollen. Pollen que les plantes gardent précieusement à l’intérieur de leurs anthères, et qui ne peut être libéré que par la forte vibration des ailes du bourdon. C’est ce que l’on appelle « buzz pollination » en anglais, ou « pollinisation vibratile« , ou « sonication » en français.
Elle peut être déclenchée artificiellement avec un objet vibrant, comme un diapason !

Pollinisation vibratile – Gif adapté d’une vidéo de Deeplook

Certaines plantes n’hésitent pas à utiliser la violence, comme les Stylidium ou « plantes gâchette » qui envoie leurs organes génitaux sur le pollinisateur qui les visite, l’étourdissant au passage.

Déclenchement de la gâchette du Stylidium – gif d’après une vidéo de David Pyke

Chez le baobab, la fleur s’est carrément transformée en bar à nectar pendouillant, permettant aux chauves souris de bien les détecter grâce à leur sonar, et de venir leur lécher les étamines. Pour plus d’informations sur les interactions entre plantes et chauves-souris, rendez-vous dans cet article.

Chauve-souris léchant une fleur de baobab – Afribats

Du côté des Proteaceae, comme Leucospermum arenarium, la pollinisation se fait par de petits rongeurs sud-africains. En échange d’un couvert qui les protège des rapaces, ces petites souris se promènent de fleurs en fleurs, au sol, léchant allègrement les étamines pleines de nectar. Pour en savoir plus, vous pouvez lire ce thread.

Therophilie – pollinisation par des mammifères terrestres. (14)

Mais dans certains cas, l’amour peut s’avérer mortel. Chez les nymphéas comme Nymphaea capensis (Nymphaeaceae), les visiteurs sont des syrphes arrivent soient lorsque la plante est mâle, se recouvrant de pollen en mangeant l’intérieur de la fleur, soit lorsque la plante est femelle. Dans cette configuration, les étamines sont toutes ouvertes, présentant une coupelle de nectar. Mais attention… les bords sont glissants et les insectes couverts de pollen seront précipités par le fond, sans le moindre espoir de sortie. Ils laisseront néanmoins leur charge de pollen d’un autre Nymphea dans le coupelle, permettant la fécondation. Pour lire cette tragique histoire, c’est par ici :

Chez les plantes carnivores, on a la décence de ne pas s’accoupler là où on l’on mange. Ainsi les feuilles « piège » sont au sol, tandis que les fleurs se dressent dans les airs, évitant ainsi la capture de leurs esclaves sexuels.

Fleurs de Sarracénies surmontant les urnes carnivores – CC0 – Rollstein

Certains insectes malins ont trouvé une parade à toutes ces mécaniques. En perçant un trou à la base de la corolle de la fleur, elles peuvent voler du nectar sans se soucier de se dépatouiller avec les organes sexuels… c’est notamment le cas de certaines abeilles xylocopes. Mais heureusement, les plantes ont encore quelques tours dans leur sac pour perfectionner leur reproduction. Elles aussi savent duper leurs collaborateurs sans aucune vergogne !

Xylocope violacée perçant la base de la corolle pour voler du nectar – Wikicommons CCBYSA 3.0

Du sexe déguisé

Certaines plantes se sont tellement perfectionnées qu’elles peuvent faire gober n’importe quoi à leurs pollinisateurs. On retrouve des stratégies particulièrement intéressantes du côté des orchidées. Regardez l’ophrys abeille par exemple. Comme toutes les orchidées, elle possède un pétale inférieur modifié, le labelle, qui s’est adapté pour imiter l’aspect d’une abeille femelle. Elle est également capable d’imiter à la perfection l’odeur d’une femelle en période de reproduction.

Avec une stratégie aussi pernicieuse, même plus besoin de se fatiguer à produire du nectar. Mais ce n’est pas la seule ! L’orchidée Drakaea glyptodon imite également la femelle d’un insecte : celle de la guêpe Thinnidae. D’ordinaire, ces femelles vivent sous terre. Elles ne sortent qu’au moment de se reproduire, pour être capturées, nourries et fécondées en vol par leur mâle, avant de regagner leurs souterrains. La petite orchidée imitant la phéromone femelle, les mâles excités s’accrochent à son labelle, placé sur un pivot. En essayant d’emporter la fausse femelle, ils se retrouvent projetés dans leurs parties génitales et couverts de pollen… On dirait un peu la blague de l’arroseur arrosé !

Et en parlant d’odeurs et de couleurs suffisantes pour leurrer des pollinisateurs, voici quelques plantes dont les stratégies sont efficaces… même si un peu répugnantes !

La plus grande fleur du monde, l’arum titan produit une fleur unique tous les 7 à 10 ans. Celle-ci dégage une odeur putride et de la chaleur, permettant de diffuser l’odeur à des kilomètres à la ronde afin d’attirer les mouches qui se chargeront de la féconder.

Et attention, amis de la poésie, parlons aussi de l’arum mange-mouches (Helicodiceros muscivorus) qui ressemble parfaitement à un arrière train d’équidé et dégage une subtile odeur de cadavre et d’excréments, attirant les mouches.

Arum mange-mouche – vidéo de Jardinage à Douentza

Plus fou encore, il existe quelques exemples de pollinisation par les moustiques ! L’orchidée Platanthera obtusata sécrète un parfum de nonanal, une molécule que nous dégageons également et que les moustiques repèrent à des kilomètres ! Ces petites bestioles, par l’odeur alléchés repartent avec les sacs de pollen de l’orchidée sur la tête, hop ! (15)

Moustique pollinisant une orchidée (14)

On peut aussi leurrer des fourmis dans le règne végétal. L’orchidée lièvre (Leporella fimbriata), avec ses deux mignonnes petites oreilles est capable de diffuser un parfum de fourmi femelle, déclenchant un phénomène de pseudo-copulation avec les mâles. (16) La pollinisation par les fourmis s’appelle la myrmécophilie.

Leporella fimbriata – CCBYSA 4.0 – Geoff Derrin

Tous ces exemples montrent que tant qu’il y a de la vie… il y a du sexe ! N’importe quel animal peut être recruté, à ses dépens ou à son avantage dans une alliance reproductive avec les plantes à fleurs. Certaines plantes ont même poussé l’interaction jusqu’à établir une vraie dépendance entre deux espèces.

Sexe en symbiose

Car puisqu’on parle de sexe, je ne peux pas vous quitter sans vous raconter l’incroyable vie sexuelle du figuier. De nombreuses espèces de Ficus dépendent étroitement de guêpes blastophages pour leur pollinisation. Presque chaque espèce de figuier dans le monde est en association avec une ou plusieurs de ces guêpes pour leur reproduction. Cela fonctionne ainsi :

Schéma du cycle de reproduction des figuiers – Plantoscope

Les figuiers sont donc devenus dépendants de ces petites guêpes, qui sont elles-même dépendantes des figues pour leur reproduction. Un échange de bons procédés remarquable !

Bref, les plantes c’est sexy.

Maintenant que vous avez lu tout ça, j’espère que vous ne pourrez plus dire que la reproduction des plantes à fleurs est ennuyeuse. Elle est originale, riche, variée et pleines de surprises éblouissantes ou écoeurantes ! Pas de pudeur pour les fleurs !

Si on résume les différentes possibilités, les plantes peuvent nouer des pactes plus ou moins sympathiques avec toutes sortes d’animaux et d’insectes. Elles saisissent la moindre opportunité pour faire circuler leur pollen. Voici un résumé des quelques termes techniques existants pour définir toutes les interactions plantes pollinisateurs. Si la zoophilie (ou zoogamie) est la polllinisation par les animaux, l’entomophilie la pollinisation par les insectes et l’ornithophilie la pollinisation par les oiseaux, il existe un tas de termes spécialisés lorsqu’il s’agit d’abeilles (mélittophilie), de papillons diurnes (psychophylie), nocturnes (phalaenophilie), de mouches (sapromyophilie), de coléoptères (cantharophilie) et même de gastéropodes (malacophilie). De quoi enrichir votre vocabulaire et gagner des points au scrabble !

Différents modes de pollinisation – Plantoscope

Pendant très longtemps, Charles Darwin lui même pensait que la diversification des plantes à fleurs était un « abominable mystère ». Selon sa propre théorie de l’évolution, il était impossible qu’autant d’espèces de plantes à fleurs différentes apparaissent en si peu de temps. Imaginez-vous, les premiers organismes photosynthétiques apparaissent il y a environ 3 milliards d’années, les premières algues il y a au moins 1,3 milliards d’années, les premières plantes à graines rentrent dans le jeu il y a 350 millions d’années… et soudainement, entre -150 et 200 millions d’années, un groupe de plantes prend le dessus pour devenir en un petit laps de temps, le groupe majoritaire à la surface de la planète. Il y a de quoi se poser des questions.

Une partie de la solution serait que les plantes à fleurs aient bénéficié de leur petit génome pour s’étendre plus efficacement. L’autre partie de la solution est qu’en même temps que de créer des fleurs, les plantes ont noué des alliances avec toutes sortes d’organismes vivants, comme les insectes, les oiseaux ou les mammifères mentionnés tout au long de cet article.

Une preuve supplémentaire que bien souvent, l’union fait la force ! Mais un constat criant de l’interconnexion qui existe entre toutes les espèces vivantes et de l’importance de décrypter ces interactions afin de préserver l’ensemble de la biodiversité. Maintenant, vous sachez.

Devinette

Pour finir ce voyage à travers le sexe des plantes à fleurs, je vous quitte avec une petite devinette.

Dans l’épisode de Marie, j’interpète la voix de cette orchidée obsédée : un Paphiopedilum, une espèce de sabot de Vénus.
Saurez-vous deviner comment elle se reproduit ?
Pour le savoir, rendez-vous dans cet article du blog de Marie.

N’oubliez pas de vous abonner à sa chaîne : la Boîte à Curiosités ! Elle est pleine d’épisodes déjantées sur les étrangetés de la nature, réalisés avec beaucoup d’humour, de la bonne humeur et des tonnes de créativité !

Pour aller plus loin :

Les ressources complémentaires à la vidéo sont toutes recensées dans ce document.

  1. Sun, G. et al. Archaefructaceae, a New Basal Angiosperm Family. Science296, 899–904 (2002). (DOI : 10.1126/science.1069439)
  2. Fu, Q. et al. An unexpected noncarpellate epigynous flower from the Jurassic of China. eLife7, e38827 (2018). (DOI : 10.7554/eLife.38827)
  3. Project, A. G. The Amborella Genome and the Evolution of Flowering Plants. Science342, (2013). (DOI : 10.1126/science.1241089)
  4. Poncet, V. et al. Amborella – Bearing Witness to the Past? in Annual Plant Reviews online 867–908 (American Cancer Society, 2019). (doi: 10.1002/9781119312994.apr0689).
  5. Sauquet, H. et al. The ancestral flower of angiosperms and its early diversification. Nature Communications8, 16047 (2017). (DOI : 10.1038/ncomms16047)
  6. Murat, F., Armero, A., Pont, C., Klopp, C. & Salse, J. Reconstructing the genome of the most recent common ancestor of flowering plants. Nat Genet49, 490–496 (2017). (DOI : 10.1038/ng.3813)
  7. van Tussenbroek, B. I. et al. Experimental evidence of pollination in marine flowers by invertebrate fauna. Nature Communications7, 12980 (2016). (DOI : 10.1038/ncomms12980)
  8. Shivanna, K. R. Reproductive Biology of Plants. (CRC Press, 2016). doi:10.1201/b16535.
  9. Ollerton, J. et al. A global test of the pollination syndrome hypothesis. Ann Bot103, 1471–1480 (2009). (DOI : 10.1093/aob/mcp031)
  10. Rodríguez-Gironés, M. A. & Llandres, A. L. Resource Competition Triggers the Co-Evolution of Long Tongues and Deep Corolla Tubes. PLoS One3, (2008). (DOI : 10.1371/journal.pone.0002992)
  11. Wiens, F. et al. Chronic intake of fermented floral nectar by wild treeshrews. PNAS105, 10426–10431 (2008). (DOI : 10.1073/pnas.0801628105)
  12. Bissessur, P., Bunsy, Y., Baider, C. & Florens, F. B. V. Non-intrusive systematic study reveals mutualistic interactions between threatened island endemic species and points to more impactful conservation. Journal for Nature Conservation49, 108–117 (2019). (DOI : 10.1016/j.jnc.2019.04.002)
  13. Hansen, D. M., Beer, K. & Müller, C. B. Mauritian coloured nectar no longer a mystery: a visual signal for lizard pollinators. Biol Lett2, 165–168 (2006). (DOI : 10.1098/rsbl.2006.0458)
  14. Johnson, C. M. & Pauw, A. Adaptation for rodent pollination in Leucospermum arenarium (Proteaceae) despite rapid pollen loss during grooming. Ann Bot113, 931–938 (2014). (DOI : 10.1093/aob/mcu015)
  15. Lahondère, C. et al. The olfactory basis of orchid pollination by mosquitoes. PNAS117, 708–716 (2020). (DOI : 10.1073/pnas.1910589117)
  16. Peakall, R. The unique pollination ofLeporella fimbriata (Orchidaceae): Pollination by pseudocopulating male ants (Myrmecia urens, Formicidae). Pl Syst Evol167, 137–148 (1989). (DOI : 10.1007/BF00936402 )


A propos de la première fleur, je vous recommande l’excellente vidéo de Sciences de Comptoir (abonnez-vous), ainsi que l’interview de Jörg Schönenberger qui a participé à ces travaux.

Une vidéo en anglais sur l’histoire de la découverte de l’Orchidée de Darwin.

Le billet de blog de Pierre Kerner, sur Strange Stuff and Funky Things sur l’alcool dans le monde vivant, traitant par le menu les détails de la consommation du nectar du palmier brasseur.

Publié par Le Plantoscope

Diplômée de biologie végétale et ancienne chercheuse en biologie moléculaire et cellulaire, je suis maintenant dédiée à la vulgarisation scientifique autour de la biologie des plantes. Le Plantoscope est un outil pour voyager à travers les plantes et la botanique par des anecdotes et des explications simples et accessibles.

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