Cet article est adapté de la chronique du même nom dans l’épisode 413 de Podcast Science.
Parlons un peu de ces « trucs verts » qui nous entourent. Les Plantes. Et ces trucs verts, ils ont verts, certes, mais aussi rouges, bleus, violets, roses, bruns, ocres, oranges… tout un tas de couleurs incroyables qui doivent bien venir de quelque part.
Ce qui leur donne leur couleur, ce sont les pigments.
C’est quoi un pigment ?
Commençons donc d’abord par essayer de comprendre ce que peut-être un pigment.
Si on regarde sur un dictionnaire, on retrouvera généralement deux définitions pour un “pigment”. Première option :
- “Substance, généralement en poudre fine, insoluble dans les milieux de suspension usuels, utilisée en peinture en raison de ses propriétés optiques, protectrices ou décoratives”.
Deuxième option :
- “Substance qui donne leurs couleurs externes aux animaux ou aux plantes”.
La première, c’est une définition plutôt “usuelle”.
Un pigment, c’est un produit qu’on utilise dans l’industrie, dans l’artisanat, dans notre vie quotidienne d’humain, pour mettre de la couleur quelque part.
Repeindre sa chambre en rose pendant un confinement, cela demande une grosse couche de pigment qu’on aura inclus dans une pâte pour en faire de la peinture. Il est fort probable que ce pigment soit naturel et inerte (de la poudre provenant d’un caillou par exemple – pour les non géologistes, ou d’un MINERAL pour ceux qui sont tâtillons avec le mot “caillou”). Le pigment peut aussi être artificiel et synthétisé industriellement à partir de matière non vivante, parfois, il peut même être phosphorescent et restituer de la lumière dans le noir… et avec ce genre de peinture, vous pouvez faire semblant d’être dans l’espace même enfermé chez vous.

Mais pour la deuxième définition, il s’agit de ce qu’on appelle un pigment biologique. Il émane d’un organisme vivant, il lui donne une teinte, et cette couleur peut donc être extraite et utilisée pour d’autres usages.
C’est de ces piments là que nous allons parler dans cet article, et particulièrement chez les plantes, qui sont incontestablement les championnes de la production de couleurs dans le monde vivant.
Pourquoi les feuilles sont vertes, pourquoi changent-elles de couleur en automne, pourquoi certaines plantes sont d’autres couleurs, qu’est ce qu’on utilisait comme couleurs avant les peintures en pot chez Castorama ? Si toutes ces questions vous intéressent, lisez jusqu’à la fin.
C’est quoi une couleur ?
Avant de rentrer plus en détail sur les pigments végétaux, j’aimerais revenir un peu sur le concept de “couleur”. Au risque d’enfoncer une porte ouverte : Pourquoi voyons nous des couleurs, et qu’est ce qu’une couleur exactement ?
Quand on parle de couleur, on parle aussi de lumière. La lumière illumine et passe sur et à travers tous les objets qui nous entourent. Si on ne vous a pas encore rabattu les oreilles avec cette phrase, rappelez vous que la lumière est à la fois une onde qui se propage dans toutes les directions, et une particule.
Personnellement, j’ai toujours eu du mal à saisir le concept, ducoup avec mes difficultés d’abstraction en physique, je me suis toujours représenté l’onde lumineuse comme un très petite “blob”, la particule de lumière, ou le photon, qui vibrait à une certaine fréquence et dans toutes les directions. Cette fréquence plus ou moins forte, si on la représente sur un graphique, ça nous donne une courbe oscillante (comme un grand huit), sur laquelle on peut mesurer une “longueur d’onde”. Comme les vibrations sont petites, la longueur d’onde de la lumière s’exprime en nanomètres : un millième, de millième, de millième de mètres.

On estime que pour un humain, le spectre visible est de 400nm à 800nM, ce qui est une toute petite portion des possibilités vibratoires dans la nature.
Pour des couleurs qui vont de rouge à violet, en passant par… toutes les couleurs de l’arc en ciel. En dessous, les infrarouges, au dessus, les ultra-violets. La lumière du soleil est blanche, par défaut et comprend toutes ces longueurs d’onde. Mais il existent des lampes qui n’émettent qu’une portion du spectre électromagnétique – les lampes UV par exemple…

Toute cette lumière visible nous est accessible grâce à un organe merveilleux, l’oeil, qui est tapissé au fond par une petite couche de récepteurs, la rétine – dans laquelle sont encastrées des cellules photoréceptrices : les cônes, et les bâtonnets. Chacun de ces récepteurs est capable de distinguer la quantité de lumière entrante (c’est le job des bâtonnets, d’ailleurs les créatures nocturnes en ont beaucoup plus, ce qui leur permet de voir dans le noir) – ainsi qu’une certaine longueur d’onde.
Les cônes contiennent des protéines, les opsines, ou les rhodopsines qui sont excitées à plusieurs longueurs d’ondes différentes – vert, bleu, rouge… et qui transmettent ce signal au nerf optique. De proche en proche, notre cerveau finit le travail pour voir les couleurs.
Il y a couleur et couleur.
Chaque espèce animale voit le monde de différentes façons, en fonction des propriétés de son oeil ou de sa rétine. Mais attention, il y a couleur et couleur. Une couleur normale, chimique, ou encore “pigmentaire” correspond au rayonnement lumineux qui est renvoyé par un objet. Comme la lumière se propage dans toutes les directions, qu’à la base elle est blanche, c’est à dire qu’elle contient toutes les longueurs d’ondes (ce que l’on peut mettre en évidence en faisant passer la lumière blanche au travers d’un prisme faisant apparaître un « arc en ciel »)- et que les objets nous apparaissent “en couleur” – il doit forcément se passer un truc.

Et ce truc, c’est que chaque objet de notre environnement peut ABSORBER la lumière, et en renvoyer une partie. On dit que chaque objet a un spectre d’absorption. Si je regarde ma lampe à côté de moi, elle est bleue.
Le matériau de la lampe a donc absorbé toutes les longueurs d’onde, sauf celles que je perçois en bleu. Mon meuble télé, qui est noir, absorbe au contraire toutes les longueurs d’ondes et ne renvoie quasiment rien, je le perçois noir.
Ca, c’est pour la couleur normale. Mais il existe aussi ce que l’on appelle la couleur structurelle – c’est à dire que la lumière arrivante est diffractée, déviée par une structure physique, et l’on perçoit l’une des longueurs d’onde déviée plus clairement, en fonction de l’angle auquel on se met. Vous voyez, la diffraction c’est le phénomène de l’arc en ciel, la lumière est éclatée comme dans un prisme quand il pleut et qu’il fait soleil en même temps.

C’est aussi le cas pour l’iridescence, ce phénomène qui fait briller les ailes de papillon Morpho bleu électrique (Je vous renvoie à l’excellent billet de l’excellent blog « Strange Stuff and Funky things » de Pierre Kerner) (1).

Et c’est la raison pour laquelle les plumes de paon paraissent brillantes… Ou pour revenir dans des exemples végétaux, que les sélaginelles, des espèces de petites mousses de forêts tropicales, paraissent bleutées et de couleur changeante. La fougère ci-dessous est d’ailleurs surnommée « Fougère paon ».

Donc dans ce dossier, on va vraiment parler de pigments végétaux qui donnent une couleur naturelle, et pas une couleur structurelle. De la vraie couleur, et pas de la “fausse couleur”.
Promis j’arrête de vous bassiner avec de la physique maintenant.
Les pigments végétaux
Alors, je vous ai dit que certaines plantes ou animaux disposaient de pigments biologiques, leur donnant une teinte particulière. Et comme bien souvent, notre premier réflexe d’humains est de se dire que c’est joli.
Mais en réalité, si ces pigments existent, c’est parce qu’ils ont été fabriqués. S’ils ont été fabriqués, c’est grâce à une longue chaîne de réactions chimiques, ce qu’on appelle en langage biologiste une “voie métabolique” (3). Dans l’image ci-dessous, vous voyez que si on les schématise toutes, ça ressemble à un plan de métro de la vie. Et c’est un enfer à apprendre en cours de biologie.
Si ces voies métaboliques existent actuellement en l’état, c’est qu’elles sont apparues et se sont perfectionnées au cours de l’évolution…
Là, si on applique de la logique darwiniste pure, à défaut d’être totalement utile, elles n’ont au moins pas provoqué la disparition de l’espèce qui les contenait, voire – elles leur ont peut être même donné un avantage sélectif.

Ce que je veux dire, c’est que ces couleurs ne doivent pas servir à rien, même si je n’aime pas trop être “finaliste” quand je parle de biologie.
Et en parlant d’utilité, s’il y a bien un truc que les plantes savent faire et qu’on ne sait pas, c’est la photosynthèse. Et pour ça, on a besoin de pigments photosynthétiques (2).
Les pigments photosynthétiques
J’en viens donc directement à la questions que plus personne ne se pose plus : pourquoi les plantes sont vertes ?
Grâce à la Chlorophylle. Ou je devrais dire : les chlorophylles, puisqu’il en existe plusieurs sortes : la chlorophylle a, b, d, c1, c2, d et f.
Les chlorophylles a et b, sont les plus abondantes, et ce sont celles que vous retrouverez chez la plupart des plantes et des algues vertes.

La chlorophylle d a été identifiée chez les cyanobactéries, des bactéries photosynthétiques, tandis que les chlorophylles c1 et c2, plus simples, se retrouvent algues brunes (ou Phéophycées). La chlorophylle f a été retrouvée plutôt dans des stromatolithes, des aggrégats de colonies de cyanobactéries.

Les détails changent, mais la structure reste la même : une molécule plane, avec plus ou moins de décorations, au centre de laquelle est piégé un atome de Magnésium. On appelle ça un hème (ou un noyau porphyrique en langage chimique). C’est quasiment la même structure que l’hème de fer de l’hémoglobine, qui permet de transporter l’oxygène dans le sang. Sauf qu’il y a un atome de Fer à la place du Magnésium… c’est d’ailleurs ce fer qui permet de « charger » le dioxygène que l’on respire, et de le transporter dans le sang.

Alors, si on me demande mon avis, je trouve que la chlorophylle est parmi les plus belles molécules existantes, parce que si la représente en dessin chimique, c’est vraiment très esthétique.
(Je l’aime tellement que je n’ai pas pu résister à en commander une version en broderie à @GalaMolecules du café des sciences.)
Elle est belle surtout parce qu’elle a la particularité d’avoir beaucoup de doubles liaisons, c’est à dire plusieurs électrons mobilisés pour faire des liens entre les atomes de la molécule. Et ça, dans une molécule, c’est pratique, ça permet d’absorber de l’énergie sous la forme d’un électron, puis de la restituer sans changer la forme de la molécule ni ses propriétés.
Les molécules qui ont des doubles liaisons comme la chlorophylle peuvent interagir avec la lumière, l’absorber – ce sont elles qui donnent la couleur. D’ailleurs, le saviez-vous, la chlorophylle émet une fluorescence rouge si elle ne peut pas décharger son énergie à d’autres molécules !

Photo: Marie Franzen, Wikipedia
En l’occurrence, si on se penche sur le spectre d’absorption de la chlorophylle (ou des chlorophylles), on se rend compte qu’elle absorbe dans le rouge, dans le bleu… mais pas dans le vert. Ce “trou vert”, c’est ce que vous percevez de vos plantes vertes, ou lors d’une balade en forêt. Vous savez, cette espèce « d’ambiance » verte étrange de sous-bois. Certains appellent même ce phénomène « l’ombre verte ».

Pour replacer dans une cellule végétale, la chlorophylle est contenue dans un petit compartiment (on appelle ça un organite), le chloroplaste, qui est une véritable petite usine de fabrication d’énergie organique, à partir de l’énergie lumineuse. Je ne vais pas détailler la photosynthèse ici par contre, ce sera sûrement l’objet d’un article complet. En attendant, vous pouvez consulter ce fil twitter pour en apprendre plus sur la découverte de la chlorophylle et la photosynthèse.
Maintenant qu’on a vu les propriétés de la chlorophylle, il ne faut pas croire que parce que le plantes n’absorbent pas dans le vert, le vert ne sert à rien, non ! Il y a d’autres pigments qui contribuent à la photosynthèse et qui absorbent d’autres longueurs d’ondes. Je pense notamment à la famille des quinones et aux caroténoïdes.
Quinones
Les quinones sont des molécules un peu plus « simples » chimiquement que la chlorophylle. Elles forment généralement des cycles. Parmi les molécules de cette famille on retrouve par exemple la plastoquinone, qui sert de transporteur d’électrons dans les membranes des thylakoïdes des chloroplastes. La phylloquinone (ou vitamine K1) a aussi ce rôle de transporteur. Et l’ubiquinone sert de transporteur dans la respiration aérobie (parce que oui, les plantes respirent aussi, en plus de la photosynthèse). (4)

Caroténoïdes
Normalement si vous suivez, vous devriez, juste grâce au nom pouvoir me donner la couleur de ces pigments. Rouge-orange. Comme dans la carotte. Les caroténoïdes sont une famille de molécule dont la structure est une longue chaîne carbonée avec plein de doubles liaisons comme on les aime. Ce qui fait qu’elles absorbent une partie du spectre et qu’on les voit en couleur.
Elles ont un rôle dans la photosynthèse, puisqu’elles absorbent l’excédent d’énergie que la chlorophylle ne peut pas absorber.
Les carotènes sont contenus soit dans le chloroplaste, soit dans ce qu’on appelle des chromoplastes – un chloroplaste qui se serait transformé pour contenir des pigments autres que la chlorophylle. Oui parce que, l’une des forces des plantes c’est de pouvoir réassigner ses organites internes et de leur donner des rôles différents selon la circonstance. (Là
encore je ne vais pas m’étendre dessus, mais les plantes c’est dingue vous voyez).

C’est une assez grande famille de molécules (5), et en vrac vous allez retrouver les lycopènes, qui donnent leurs couleurs aux poivrons, la zéaxanthine, qui va donner la couleur jaune du maïs, et bien sûr le beta carotène, qui va donner la couleur de la carotte. Elles ont notamment un rôle protecteur dans la feuille, pour empêcher les dommages liés aux rayonnements ultra-violets. Parce que oui, le soleil, ça abîme. Les carotènes et autres jouent un peu le rôle de « crème solaire » végétale. D’ailleurs, pour savoir pourquoi il y a des poivrons verts, jaunes, oranges ou rouges, vous pouvez consulter ce fil sur twitter :
En automne, lorsque les jours raccourcissent, les plantes de régions tempérées déclenchent un processus d’auto-destruction des feuilles pour faire des économies d’énergie (plus de soleil, du gel, il faut arrêter la production de sucre quoi, logique). Ducoup la chlorophylle qui est constamment remplacée n’est plus produite, et ce que l’on voit ce sont les carotènes qui persistent, ce qui donnent des feuilles jaunes, oranges, etc…

C’est dans cette famille que l’on va retrouver un de mes colorants préféré, la bixine, qu’on trouve dans une plante qu’on appelle le Rocouyer (Bixa orellana), et que vous consommez sous la forme du colorant E160b en agroalimentaire et qui donne sa fameuse couleur au cheddar (6).
Mais attention, ce n’est pas tout. En plus des pigments utilisés dans la photosynthèse, les plantes sont d’excellents chimistes et au cours de l’évolution se sont bricolés des tonnes. Mais alors des TONNES de pigments d’autres couleurs, pour notre plus grand bonheur (7).
Les pigments accessoires
Dans les plantes, tout ce qui ne sert plus à la photosynthèse est rangé dans la case « pigment accessoire »… et doit donc servir à autre chose. Alors qu’on s’entende, tous les carotenoïdes cités ci-dessus ne servent pas qu’à la photosynthèse… mais c’était plus simple de ranger comme ça.
Flavonoïdes
A part au rayon “vert” et au rayon “orange”, c’est dans la famille des flavonoïdes que l’on retrouve le plus de variétés de couleurs, pour toutes les autres couleurs que vous sauriez imaginer (rose, bleu, violet, pourpre, rouge, bordeaux…).
Le nom des flavonoïdes est tiré d’une molécule, la flavone (du grev flavus = jaune). Les molécules de cette famille (8) s’articulent autour d’une même structure chimique dérivée de la flavone :

Anthocyanes
Une sous famille particulière des flavonoïdes, les anthocyanes, est particulièrement intéressante (7). Du grec « anthos »= fleur et « kuanos » = bleu. Ces pigments ont tous à peu près la même structure de base (ci-dessous), avec des petites décorations qui changent.

Juste à l’instant je vous ai expliqué pourquoi les feuilles devenaient oranges ou jaunes en automne, parce que la chlorophylle se dégrade et qu’on voit les caroténoïdes. En parallèle, un nouveau pigment est produit à cette période, de la famille des anthocyanes (le colorant E163 dans vos aliments).
La famille des anthocyanosides est assez complexe, et ces pigments sont aussi bien présents dans les vacuoles de plantes que dans les fruits rouges (myrtilles, mûres, cerises, raisins… ) ou les légumes violets (aubergines, poivrons…).
Pour rappel, la vacuole c’est un compartiment liquide dans la plante, qui peut se gonfler ou se dégonfler en fonction de la quantité d’eau ou de la pression osmotique. Son “remplissage” en eau est l’une des forces qui permet l’allongement de la cellule végétale, et la croissance des plantes. Et c’est un compartiment qui fonctionne un peu comme une poubelle, on y met tous les composés toxiques pour ne pas empêcher la cellule de fonctionner.

Petite digression, j’ai lu un petit article super intéressant qui se posait la question de savoir pourquoi aux Etats Unis il y avait des couleurs automnales globalement beaucoup plus rouges qu’en Europe centrale. Il semblerait que la couleur rouge étant moins perceptible par des insectes ravageurs, susceptibles de venir siphonner la matière organique des feuilles à l’automne – le rouge ait été un avantage.
L’hypothèse est qu’après les dernières glaciations, les insectes susceptibles d’abîmer les arbres à l’automne ait disparu et que les arbres européens auraient donc perdu la synthèse de pigment rouge, tandis que sur le continent américain, la cohabitation entre les insectes et les arbres aurait maintenu une pression de sélection qui fait qu’ils conservent cette synthèse.
Résultat – si vous voulez des automnes rouges vifs, déménagez aux Etats-Unis.

Les flavonoïdes et les anthocyanes ont aussi la propriété de changer de couleur en fonction du pH (de l’acidité) du milieu car elles sont en équilibre dans le milieu, entre différentes formes qui varie selon le pH.

C’est grâce à cela que l’on peut faire la très fameuse “expérience du chou rouge” que vous avez peut être tenté au collège. Je vous renvoie à une vidéo de @TaniaLouis qui vous propose cette expérience dans le détail dans ses séries de vidéos “Les petites manips”
C’est aussi grâce à ses pigments que le thé de Clitoria ternatea, le “pois bleu” ou « fleur clitoris » change de couleur si on rajoute du citron dedans. Si cette plante vous intrigue, je vous renvoie à cet article du blog « Quoi dans mon assiette« , et j’ai mis une petite vidéo sur la chaîne très anecdotique du plantoscope :
C’est encore grâce à cela que l’on peut trouver des nuances de fleurs d’hortensia en fonction de la composition du sel (s’il y a de l’aluminium ou du fer) dans lequel ils sont plantés. Allant d’un beau bleu profond à un rose très flashy.

Et dans cette famille, on retrouve réellement une très grande diversité de molécules (9), qui portent souvent des noms associés à leur plantes d’origines… On peut d’ailleurs faire un jeu en essayant de savoir d’où vient quel pigment. La pétunidine vient du pétunia, la malvidine de mauve, la pélargonidine des pélargoniums (des fleurs qui ressemblent aux géraniums).
C’est le même squelette de molécule, mais pas les mêmes décorations !
Betalaïnes
Dans la série « je porte le nom de la plante dans laquelle j’ai été découvert », la famille des bétalaïnes sont d’autres pigments amusants. Il en existe deux sortes, les bétacyanines qui peuvent varier du rouge au violet (comme la bétanine), ou les bétaxanthines qui peuvent varier du jaune à l’orange (comme l’indicaxanthine). La bétanine est le colorant principal du jus de betterave (Betta vulgaris) et est utilisé comme additif de coloration en industrie agroalimentaire sous le code E162.

Les bétalaïnes donnent donc leur couleur aux betteraves… mais aussi aux figues de barbarie (Opuntia ficus-indica). Et leur voie de biosynthèse est assez compliquée. (8)

Parce qu’il faut toujours une anecdote pour briller en société, sachez que 10 à 14% des gens sont incapables de dégrader la bétanine… et font pipi rouge après avoir mangé de la betterave ! Le syndrome « pipi rouge » s’appelle la « betteravurie ». Et contrairement à ce qu’on a longtemps pensé, ce n’est pas un caractère génétique, mais cela dépend de beaucoup de facteurs dont l’acidité de l’estomac, la concentration du pigment dans la nourriture ingérée… etc. (10-11-12)
Tannins
Pour terminer cette longue liste de pigments, les tannins devraient vous évoquer quelque chose, au moins par le nom… « tannage » ? Non ? Le « tan » était la poudre extraite de l’écorce de chêne que l’on utilisait autrefois pour tanner les peaux de bêtes.
Les tannins sont des substances chimiques de la famille des polyphénols. Un groupe phénol, chimiquement, c’est ça :

Si on en met plusieurs ensemble, ça peut donner tout ça… on est sur une famille de molécules assez vaste, dans laquelle vous retrouvez aussi les flavonoïdes mentionnées plus haut (13).

Les tannins sont des polyphénols assez gros, qui ont la propriété de s’accrocher aux protéines. Ils sont donc contenus dans les vacuoles et les parois des cellules végétales par précaution. Ils sont classés en quatre grandes catégories : gallotanins, ellagitanins, tanins complexes, et les tanins condensés (dans lesquels on retrouve les flavonoïdes). Certains de ces tanins donnent leur couleur au vin. Grâce à leurs propriétés antioxydantes, certains sont médicinaux. Beaucoup permettent d’obtenir de teintures ocres ou brunes, pour les encres, les tissus ou le cuir.
Pourquoi tant de couleurs ?
Pratique, écologique, magique !
Je vous ai donné pas mal d’exemples du rôle que pouvaient jouer les pigments végétaux tout au long de l’article, mais un rappel fait toujours du bien : il faut bien garder à l’esprit que ces pigments ont avant tout une fonction biologique. Ils ne sont pas là (que) pour décorer !
Déjà, à cause des doubles liaisons qui les caractérisent (qui font qu’ils ont une couleur), ils sont capables d’absorber en partie l’énergie lumineuse, ou les électrons libres – ce qui fait qu’ils ont globalement une action de protection des UV (un peu comme la mélanine de la peau humain).
Certains pigments comme les tanins – qui donnent une coloration foncée ont aussi des propriétés anti-bactériennes, anti-parasitaires, anti-herbivores, bref, anti-agressions.
Cela protège la plante des attaques et du pourrissement. Si vous voulez savoir tout (absolument tout) sur les tanins, je vous recommande vivement le dernier livre de Marc André Sélosse. Un aperçu du contenu dans cette conférence :
En plus de ça, ils ont un rôle évolutif en impactant la reproduction des espèces.
Par exemple, les anthocyanes et les flavonoïdes donnent une couleur chimique qui peut s’agencer de différentes manières, et permettre d’attirer ou de guider les pollinisateurs vers la corolle.
Vous connaissez certainement des fleurs qui ont ces caractéristiques, par exemple (des corolles qui sont plus foncées au centre, plus claire à l’extérieur, ou inversement). J’ai trouvé quelques tableaux et quelques ressources qui recensent quels types de couleurs ou d’odeurs attirent tel type d’insecte.
Ainsi, si vous êtes une mouche préférerez-vous les fleurs marrons aux relents d’excréments… Tandis que si vous êtes une abeille, votre préférence ira vers les forts contrastes blancs/jaunes.
En réalité chaque plante a ses propres astuces pour séduire un type de pollinisateur, et les agencements de couleurs sont très très variés. Vous retrouverez quelques exemples de fleurs colorées dans cet article.
On peut parler du cas très intéressant du marronnier d’Inde, qui fleurit encore un peu partout en ce moment. Mais si vous savez, ce sont ces arbres en ville qui font des grappes de fleurs pyramidales, qui vont vers le haut comme ça.
Chaque fleur expose une “guide floral” jaune, très visible par les insectes pollinisateurs… une fois pollinisée, ce guide devient rouge, et passe dans le champ “invisible” de l’insecte (14).

Certaines plantes ont même des pigments fluorescents qui émettent une lumière visible uniquement par les insectes, et pas par nos yeux. On peut retrouver des exemples de clichés UV de plantes dans ce dossier de Pour la Science.
L’impact de la fluorescence sur le comportement des pollinisateurs est controversé, mais des études plutôt convaincantes sur les plantes carnivores montrent que les bords des urnes sont fluorescents, de même que leurs fluides digestifs… mais seulement lorsque l’urne est ouverte ! Cette caractéristique augmente le nombre d’insectes capturés… encore de quoi nous bluffer sur les capacités des plantes (15) !

Les pigments des fruits de la même façon permettent d’attirer des animaux pour être mangés et dispersés. Ainsi, un fruit « rouge » signal son mûrissement par rapport à un fruit vert.
C’est le cas par exemple des fruits de l’arbre du voyageur – cet espèce de palmier plat assez emblématique de pays d’Asie – car ils sont… très très bleus.

L’arbre entier a une biologie toute particulière qui mériterait un article entier, en particulier parce qu’il est pollinisé par des lémuriens (16). Mais pourquoi a-t-il des fruits bleus ?
L’hypothèse est que cette couleur permet aux primates et aux oiseaux qui les consomment de les repérer facilement. Ce serait d’ailleurs pour cette raison que l’Aye-aye serait l’un des rares primates nocturnes à discerner la couleur bleue (17)…
De la couleur dans nos vies
Donc les pigments, c’est pas que de la déco, et évidemment nous humains n’avons pas attendu trop longtemps pour en trouver des usages. Pour la peinture, pour les encres d’écriture, pour la tannerie et la coloration et le tannage des cuirs… y’a qu’à demander, les plantes ont toutes les couleurs en magasin… ou presque.
Les tannins ayant la propriété de se lier aux protéines, ils sont utilisés depuis longtemps pour rendre le cuir imputréscible, et pour le rigidifier.

Récemment j’ai acquis un petit livre passionnant, le « guide des teintures naturelles – plantes à fleurs« , qui compile tout un tas de recettes de colorations que l’on peut obtenir à partir de plantes somme tout assez communes…
On peut ainsi donner des teintes oranges, roux à vert bronze à partir de pelure d’oignons, on peut donner de belles teintes roses grâce à la carthame des teinturiers. De beaux brins avec le broux de noix (Juglans regia)…
De très célèbres pigments de teinture viennent originellement de plantes, comme le rouge d’alizarine, extrait de la garance des teinturiers (Rubia tinctorum L.), mais ont depuis été remplacés par des pigments de synthèse.

Pendant longtemps, la couleur bleue était réalisée en Europe grâce au pastel des teinturiers, ou guède (Isatis tinctoria), avant d’être remplacée par l’indigotier (Indigofera tinctoria), la renouée des tinturiers (Persicaria tinctoria) ou encore la liane à indigo (Philenoptera cyanescens), puis par des colorations artificielles.
Si vous êtes observateurs, vous noterez que la capacité colorante d’une plante est souvent traduite dans son nom scientifique par « tinctoria » ou « tinctorum »!
En agroalimentaire, de nombreux colorants et additifs utilisés proviennent de plantes (ou sont des imitations de molécules issues de plantes). Globalement dans la liste des additifs alimentaires, si vous regardez entre E100 (la Curcumine du curcuma), et E162 (la bétanine de la betterave), vous avez de grandes chances de tomber sur un pigment végétal !
Au rayon E160a, vous retrouverez le ß-carotène (de la carotte), derrière le E160b se cache la bixine (du Rocouyer), et le E160c c’est la capsorubine (extraite du paprika)… (18)
Comment voir la vie en beau à la maison
Si vous voulez mettre en évidence vous-mêmes les différents pigments, vous pouvez faire ce que l’on appelle une chromatographie – chacun de ces pigments peut migrer dans un solvant à une vitesse différente, et vous pouvez donc séparer les couleurs des plantes de cette façon. Je vous renvoie encore à une vidéo de Tania Louis pour tenter chez vous et nous envoyer le résultat :
Tout cet article pour finalement vous dire que les plantes savent décidément nous mettre des couleurs plein les yeux ! N’hésitez pas à le partager s’il vous a plu !
Pour aller plus loin :
En plus des deux vidéos d’activités de @SciTania proposées dans l’article, je vous invite à consulter cette playlist de vidéos de la chaîne Billes de Science sur les couleurs et la lumière. Vous retrouverez aussi une vidéo très pédagogique sur l’origine moléculaire de la lumière du côté de la chaîne Lanterne Cosmique par ici.
Pour savoir comment les animaux voient les couleurs, un Podcast audio de Pierre Kerner sur son blog Strange stuff and funky things :
1.Vukusic, P., Sambles, J. R., Lawrence, C. R. & Wootton, R. J. Quantified interference and diffraction in single Morpho butterfly scales. Proc Biol Sci266, 1403 (1999). (DOI : 10.1098/rspb.1999.0794)
2. Montero, F. Photosynthetic Pigments. in Encyclopedia of Astrobiology (eds. Gargaud, M. et al.) 1249–1249 (Springer, 2011). (doi : 10.1007/978-3-642-11274-4_1205)
3. Kono, N. et al. Pathway Projector: Web-Based Zoomable Pathway Browser Using KEGG Atlas and Google Maps API. PLoS One4, (2009). (doi: 10.1371/journal.pone.0007710)
4. Crane, F. L. & Henninger, M. D. Function of Quinones in Photosynthesis. in Vitamins & Hormones (eds. Harris, R. S., Wool, I. G., Loraine, J. A., Marrian, G. F. & Thimann, K. V.) vol. 24 489–517 (Academic Press, 1967).
5. Khoo, H.-E., Prasad, K. N., Kong, K.-W., Jiang, Y. & Ismail, A. Carotenoids and Their Isomers: Color Pigments in Fruits and Vegetables. Molecules16, 1710–1738 (2011). (DOI : 10.3390/molecules16021710)
6. Venugopalan, A., Giridhar, P. & Ravishankar, G. A. Food, ethnobotanical and diversified applications of Bixa orellana, L.: A scope for its improvement through biotechnological mediation. 1, 23 (2011).
7. Tanaka, Y., Sasaki, N. & Ohmiya, A. Biosynthesis of plant pigments: anthocyanins, betalains and carotenoids. The Plant Journal54, 733–749 (2008).
8. Olivier DANGLES, Flavonoïdes et anthocyanes. 88, 9 (1994). Bulletin de l’Union des physiciens – n°768.
9. Stintzing, F. C. & Carle, R. Functional properties of anthocyanins and betalains in plants, food, and in human nutrition. Trends in Food Science & Technology15, 19–38 (2004). (DOI : 10.1016/j.tifs.2003.07.004)
10. Frank, T. et al. Urinary pharmacokinetics of betalains following consumption of red beet juice in healthy humans. Pharmacological Research52, 290–297 (2005). (DOI : 10.1016/j.phrs.2005.04.005)
11. Tesoriere, L., Allegra, M., Butera, D. & Livrea, M. A. Absorption, excretion, and distribution of dietary antioxidant betalains in LDLs: potential health effects of betalains in humans. Am J Clin Nutr80, 941–945 (2004). (DOI : 10.1093/ajcn/80.4.941)
12. Forrai, G., D. Vágújfalvi, and P. Bölcskey. 1968. Betaninuria in childhood. Acta Paediatrica Academiae Scientiarum Hungaricae 9: 43-51. (PMID: 5698882)
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