Quand les plantes voient rouge.

Cette chronique a été rédigée pour l’épisode « rouge » de Podcast Science, épisode 449.

Après vous avoir expliqué dans le détail (ou presque) quels types de pigments permettaient de donner aux plantes leurs chatoyantes couleurs dans l’article « Rendez-vous en Terre-indigo, les pigments végétaux« . Après vous avoir révélé à quel point il était complexe d’être fleur bleue dans le monde végétal... j’aurais pu vous refaire une chronique uniquement sur les pigments rouges. C’est vrai ! J’aurais pu.

Les nombreuses fonctions du rouge…

Le rouge est une couleur très intéressante et répandue chez les plantes. Certains feuilles se teignent de rouge lorsqu’elles sont soumises à des variations de températures ou des stress nutritifs ou lorsque l’automne approche et qu’elles s’apprêtent à tomber…

The colour of leaves - Encyclopedia of the Environment
La chimie des feuilles d’automnes par CompoundChem

De nombreuses classes de pigments peuvent contribuer à cette couleur rouge, dont les caroténoïdes, les flavonoïdes ou encore les bétalaïnes, dont le nom vient de l’espèce Beta vulgaris, la betterave.

De nombreuses de ces plantes sont utilisées pour teindre des matériaux en rouge, c’est le cas de la Garance des teinturiers (Rubia tinctorium), du Carthame du teinturier (Warthamus tinctorius) ou encore du Rocou (Bixa orellana) qui est ma plante à rouge préférée, puisqu’on en extrait le colorant alimentaire E160b.

J’en profite pour vous rappeler d’ailleurs qu’avant d’avoir une fonction dans notre alimentation, tous les pigments végétaux ont d’abord une fonction biologique, que ce soit dans la protection de la plante contre les UV du soleil, que ce soit dans la photosynthèse ou encore dans la signalisation des organes aux pollinisateurs ou aux disséminateurs de graines potentiels (1).

D’ailleurs en passant, la traditionnelle rose rouge que l’on offre en gage d’amour passionné est rouge grâce à une combinaison de pigments et une structure microscopique pleine de petites papilles qui augmentent la réflectance, c’est à dire la proportion de lumière réfléchie à la surface du pétale, qui leur fait paraître plus… intense (2).

Micropapilles à la surface d’un pétale de rose (2)

Pour prendre un exemple rigolo et légèrement différents de l’exemple classique et ennuyeux de la rose rouge : reparlons de cette fameuse « Plante à bisou » que l’on voit passer dans tous les top 10 des fleurs incroyables sur internet : Psychoteria elata.

Figurez-vous que cette « fleur » n’est pas une fleur, et qu’en réalité ce sont les bractées, des feuilles modifiées à la base des fleurs, qui se teignent de rouge. Cette caractéristique permet de signaler aux pollinisateurs la présence d’un regroupement de fleurs, autrement discrètes. On désormais que certains insectes par exemple sont plus attirés par la couleur rouge (3). Pour plus d’informations sur cette histoire, rendez-vous dans ce fil twitter :

Le rouge est également prédominant dans la couleur des fruits charnus (avec le noir), et les biologistes s’échinent depuis des décennies à comprendre pourquoi les plantes à travers le monde produisent souvent des fruits de couleur rouge (4). La couleur apparaît souvent lors du processus de maturation du fruit, un mécanisme biologique complexe, signalant souvent, lorsqu’il passe du vert au rouge, sa maturité au goûteur averti (5). Si vous voulez en savoir plus, rendez-vous dans ce fil twitter sur le poivron :

Bref, je pourrais parler de tout ça pendant des heures et vous citer des centaines d’espèces en lien avec la couleur rouge, mais… je veux vous parler d’autre chose. Et si les plantes voyaient les couleurs ?

Des plantes qui voient ? N’importe quoi.

Alors, ne paniquez pas quand je vous dis ça, je ne vais pas vous annoncer dans cet article qu’on a trouvé des plantes capables de produire des structures similaires à des yeux. Non. Ce serait amusant, mais… ce n’est toujours pas le cas.

Mais je vous disais maintenant que le rouge en tant que fréquence lumineuse est très important pour les plantes, parce qu’elles sont capables de percevoir la lumière et d’y réagir ? On a désormais suffisamment d’informations pour pouvoir le dire et je vais vous expliquer comment ça fonctionne.

Le premier indice pour affirmer cela, c’est qu’on sait que les plantes sont capables de s’orienter vers une source lumineuse. Phénomène que l’on appelle le phototropisme et qui en accéléré est toujours très impressionnant.

La première personne a avoir découvert et documenté ce phénomène n’est autre que Charles Darwin, le seul, l’unique. Avant d’être connu pour sa théorie de l’évolution, sachez que c’était un grand botaniste et qu’il est l’auteur du traité « The Power of Movement in Plants », traduction « Le Pouvoir des Mouvements chez les Plantes ». Le texte intégral est disponible sur internet.

Parmi ses expériences, Charles Darwin met des plantes à l’obscurité quasi totale, en conservant comme seule source lumineuse la flamme d’une bougie, vers laquelle la plante s’oriente invariablement. Son hypothèse étant que le sommet (l’apex) de la plante est responsable de l’orientation lumineuse.

Grâce à ces différentes expérimentations, il montre que quelque chose, dans l’apex d’une tige est nécéssaire et suffisant pour transmettre un signal au reste de la plante, et déclencher un courbure.

Dans un oeil, notre rétine est tapissée de structures photoréceptrices, les cônes et les bâtonnets, chacun capables d’être excités par des photons de fréquences différentes. Lorsqu’ils sont excités, ils transmettent l’information aux cerveau via les nerfs optiques, ce dernier va alors interpréter l’ensemble des signaux pour reconstituer une image en couleurs. En fonction de l’image perçue, on va amorcer un mouvement pour attraper un objet ou se déplacer dans l’espace.
La vision fonctionne donc sur le même principe que la perception de la bougie par la plante : perception d’une information, transduction d’un signal, production d’un résultat physiologique.

Les plantes voient, et elles voient (infra) rouge !

Un collègue de Darwin à la fin du 19ème siècle, Jules von Sachs, montrera par la suite que si on fait tout le spectre lumineux, c’est la lumière bleue, plus spécifiquement, qui provoque la courbure des plantules (6).

Dans la même série, on sait depuis longtemps que la plupart des plantes ont une sensibilité à la durée du jour, phénomène que l’on appelle le photopériodisme. Le terme a été proposé en 1920 par deux américains, W. Garner et H. Allard, suite à l’obtention d’un mutant de plant de tabac qui ne fleurissait qu’au raccourcissement des jours, en hiver, tandis que le reste de leurs plants fleurissaient plutôt en jours longs (7).
Ils se sont rendus compte qu’il y avait plusieurs types de plantes, les plantes de jours longs, qui fleurissent lorsque les nuits sont courtes, et les plantes de jours courts, qui fleurissent lorsque les nuits sont longues. Un seul flash lumineux au milieu de la nuit suffit à annuler les effets de la nuit longue et à faire fleurir des plantes de jours longs. C’est en comprenant ces mécanismes d’éclairage qu’on parvient désormais à faire fleurir n’importe quelles plantes horticoles dans des serres, à n’importe quelles saisons.

Mais plus fort encore, seule la lumière rouge parvient à inverser ce pattern de floraison. Et encore plus fort, si on expose les plantes à flash de lumière infrarouge consécutif à la lumière rouge, on peut ré-inverser ce phénomène, ce autant de fois que l’on fait d’expositions successives rouge/infra-rouge

Chapter 39 Plant Responses to Internal and External
Réponse des plantes à un éclairage dans le rouge et l’infrarouge (7)

Ce que cela signifie, c’est que non seulement les plantes différencient la lumière bleue et rouge, impactant des processus physiologiques différents… mais qu’en plus, elles sont capables de très subtilement faire la différence entre le rouge, et l’infra-rouge. Chose que notre oeil n’est pas vraiment capable de faire.

Les phytochromes, interrupteurs moléculaires.

Et pour comprendre comme ça marche, c’est à l’échelle de la biologie moléculaire qu’il faut se rendre. Les plantes ont des protéines appelées phytochromes, capables de changer de conformation à la lumière.
Dans son état « inactivé », le phytochrome rouge, souvent appelé « Pr » est capable d’asorber le rouge et de passer dans un état « Pfr » (phytochrome far red). Dans cet état, il absorbe l’infra-rouge et repasser en conformation Pr. (8)

C’est bien joli, mais en quoi c’est utile ? La lumière blanche du soleil contient toutes les longueurs d’onde possibles de la lumière.
Au cours d’une journée normale, l’inclinaison du soleil par rapport à l’atmosphère fait qu’une plante reçoit plus de lumière rouge pendant toute la durée du jour et que le soir venu, le ration lumière rouge/lumière infra-rouge s’inverse. C’est grâce à ces phytochromes qu’une plante perçoit que la nuit commence. De ce changement de conformation va découler une série de réactions chimiques et de signaux qui découleront sur un effet physiologique.

En plus de cela, on a vu dans les articles sur les pigments que la chlorophylle verte absorbait la lumière rouge, mais pas la lumière infra-rouge. Une plante ombragée par une autre, sous la canopée d’une forêt par exemple reçoit donc un ratio d’infra-rouges plus important. Elle « sait » donc si elle est à proximité d’autres plantes grâce à ces phytochromes, et cela peut découler sur un processus d’élongation de la tige, en compensation.

On estime que seulement 9% de la lumière atteint le sol d’une forêt tropicale. De cette faible illumination de sous bois découle d’ailleurs quelques adaptations morphologiques, comme le fait que certaines plantes tropicales ont des feuilles très sombres, en raison d’une accumulation de chlorophylle sur une seule couche d’épiderme, parfois rouges au revers, leur permettant de recapturer en partie les résidus du lumière rouge et bleue, et d’optimiser la consommation d’énergie lumineuse. (9)

Exemple d’adaptation chez le Begonia maculata, la face de la feuille est vert sombre et le revers rouge. (Source botany.org)

Peut-on faire des plantes aveugles ?

Dans les années 80, les scientifiques sont parvenus à obtenir des mutants de plants d’Arabidopsis qui ne se développaient pas normalement en croissant sous différentes illuminations. (10)

On sait désormais que chez les plantes, il y a au moins 5 types photorécepteurs capables de détecter la couleur bleue, pour des processus différents, dont les cryptochromes, ainsi que 5 phytochromes capables de détecter la couleur rouge. Les seuls de ces photorécepteurs qui sont partagés entre les animaux et les plantes sont les cryptochromes, permettant la détection du bleu, et accessoirement la régulation du rythme circadien (11).

Une mutation dans chacun des gènes codant pour l’un de ces photorécepteurs permettrait donc de faire des plantes diminuées dans leur capacité de perception de la lumière. Et c’est handicapant pour un organisme fixe, qui ne peut pas se déplacer, et dont le cycle de vie entier repose sur la lumière pour la photosynthèse, et sur la perception des saisons pour sa reproduction !

Le mutant nph1-1 n’est pas capable de se courber vers la lumière (10).

Si les plantes n’ont pas d’yeux, elles sont tout à fait capables de percevoir la lumière, sur un spectre de 750 à 300nm (contre 700 à 400nm pour nous). En plus, elles peuvent le faire via chacune de leurs cellules, alors que… nous ne pouvons le faire qu’avec nos yeux !

En résumé et sans même avoir besoin de faire d’anthropomorphisme, on peut conclure en disant que ce n’est pas parce que les plantes sont vertes qu’elles ne sont pas capables de voir rouge !

Pour en savoir plus :

  1. Miller, R., Owens, S. J. & Rørslett, B. Plants and colour: Flowers and pollination. Optics & Laser Technology 43, 282‑294 (2011). (DOI : 10.1016/j.optlastec.2008.12.018)
  2. The Structural Color of Red Rose Petals and Their Duplicates. Disponible sur : https://pubs.acs.org/doi/pdf/10.1021/la102406u.
  3. Yaku, A., Walter, G. H. & Najar‐Rodriguez, A. J. Thrips see red – flower colour and the host relationships of a polyphagous anthophilic thrips. Ecological Entomology 32, 527‑535 (2007). (DOI : https://doi.org/10.1111/j.1365-2311.2007.00899.x)
  4. Willson, M. F. & Whelan, C. J. The Evolution of Fruit Color in Fleshy-Fruited Plants. The American Naturalist 136, 790‑809 (1990). 4.Chaves, I. et al.The Cryptochromes: Blue Light Photoreceptors in Plants and Animals. Annual Review of Plant Biology 62, 335‑364 (2011). (DOI : 10.1086/285132)
  5. del Rocío Gómez-García, M. & Ochoa-Alejo, N. Biochemistry and Molecular Biology of Carotenoid Biosynthesis in Chili Peppers (Capsicum spp.). Int J Mol Sci 14, 19025‑19053 (2013). (DOI : 10.3390/ijms140919025)
  6. Sachs, Julius. Lectures on the Physiology of Plants. Clarendon Press, 1887.
  7. Chapter 39 Plant Responses to Internal and External Signals Power. Point® Lecture Presentations for Biology Eighth Edition Neil Campbell and Jane Reece Lectures by Chris Romero, updated by Erin Barley with contributions from Joan Sharp Copyright © 2008 Pearson Education, Inc. , publishing as Pearson Benjamin Cummings
  8. .Galvão, V. C. & Fankhauser, C. Sensing the light environment in plants: photoreceptors and early signaling steps. Current Opinion in Neurobiology 34, 46‑53 (2015). (DOI : 10.1016/j.conb.2015.01.013)
  9. Vogelman, T. C., Nishio, J. N. & Smith, W. K. Leaves and light capture: Light propagation and gradients of carbon fixation within leaves. Trends in Plant Science 1, 65‑70 (1996). (DOI : 10.1016/S1360-1385(96)80031-8)
  10. Liscum, E. & Briggs, W. R. Mutations in the NPH1 locus of Arabidopsis disrupt the perception of phototropic stimuli.Plant Cell 7, 473‑485 (1995). (DOI : 10.1105/tpc.7.4.473)
  11. Cashmore, A. R. Cryptochromes: Enabling Plants and Animals to Determine Circadian Time. Cell 114, 537‑543 (2003). (DOI : 10.1016/j.cell.2003.08.004)

Si vous souhaitez en savoir plus sur le language des fleurs, cette vidéo du Vortex :

Publié par Le Plantoscope

Diplômée de biologie végétale et ancienne chercheuse en biologie moléculaire et cellulaire, je suis maintenant dédiée à la vulgarisation scientifique autour de la biologie des plantes. Le Plantoscope est un outil pour voyager à travers les plantes et la botanique par des anecdotes et des explications simples et accessibles.

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