On ne vit pas que d’air pur et d’eau fraîche
Tout n’est pas rose dans le monde des plantes. (Vous me direz, tout est plutôt vert.) Et la preuve, loin d’être un univers de bisounours où tout le monde fait de la photosynthèse, vivant d’air pur et d’eau fraîche… certaines plantes sont carnivores.
Oui, carnivores. Elles mangent de la viande.
Je vous arrête avant que vous ne les imaginiez un bout de gigot à la feuille… les plantes carnivores se nourrissent surtout d’insectes, qu’elles trompent et qu’elles piègent à grand renfort de stratégies improbables. Des urnes, des pièges à colle, des aspirateurs… tout est bon pour chasser cette source inespérée d’azote. Oui, voyez-vous, les plantes carnivores vivent souvent dans des milieux pauvres, et compensent leurs carences alimentaires en nutriments avec quelques proies. Un « comportement » fascinant sur lequel on reviendra dans un autre article (1).

Philcoxia minensis, un piège à colle souterrain
Pendant mon master lors d’un travail d’anglais, il nous fallait choisir une article à présenter à toute la classe sur un sujet que l’on trouvait original. Je suis tombée par hasard sur l’article suivant : « Underground leaves of philcoxia trap and digest nematodes » (2). Littéralement « Des feuilles souterraines de Philcoxia piègent et digèrent des nématodes ».
Philcoxia minensis est une petite plante annuelle, découverte en 1981 par le botaniste David Philcox au Brésil. La plante appartient à la famille des Plantaginacées, dont vous connaissez certainement le plantain comme représentant le plus courant.
Il est étonnant de trouver des feuilles vertes sous le sable, qui plus est adhésives… en général les feuilles sont plutôt dehors pour faire la photosynthèse. Or la plante vit dans un milieu aride et pauvre en nutriments… serait-il possible que la feuilles soit à la fois souterraine pour se protéger de la lumière directe, tout en étant adhésive pour capturer de petits animaux ?

Nématode au p’tit déj !
Pour en avoir le coeur net, les auteurs de l’article ont pris des clichés de microscopie électronique à balayage pour mettre en évidence la présence de nématodes collés sur les feuilles :

Ces petites plantes d’apparence inoffensives seraient-elles prédatrices de vers innocents ? Peut-être qu’elles capturent les nématodes, mais que ceux-ci sont digérés par des bactéries qui laisseront quelques miettes de nutriments en périphérie. Ou peut-être que la plante est capable de digérer elle-même les vers capturés.
Pour ce faire, il faudrait qu’elle puisse sécréter à l’extérieur des substances digestives… comme des phosphatases par exemple. Des enzymes capables de dégrader les groupements phosphates sur des molécules organiques. Pour mettre ces substances en évidence, les chercheurs ont utilisé un produit commercial (ELF 97) qui créé des précipités fluorescents jaune-verts lorsqu’il est dégradé par une phosphatase. En observant la surface des feuilles de Philcoxia au microscope à fluorescence, on voit donc que les poils glandulaires de la plante sont effectivement capables de sécréter ce type d’enzymes digestives. Grâce à d’autres expériences détaillées dans l’article, ils montrent également que la matière organique passe bien dans la plante.

Bienvenue dans le club des carnivores !
Philcoxia minensis remplit donc bien les critères pour être une carnivore.
Non seulement elle bénéficie d’une stratégie permettant de piéger un autre organisme, mais en plus elle est capable de digérer et d’absorber cette source de matière organique.
Deux espèces proches (Philcoxia bahiensis and Philcoxia goiasensis), découvertes en même temps et au même endroit pourraient très bien présenter les mêmes adaptations, mais les seuls spécimens sont conservés en herbarium et des expériences similaires n’ont pas encore été réalisées.
Le « syndrome carnivore » est relativement rare parmi les plantes. Les chercheurs considèrent que seulement 0,2% des plantes du monde entier ont adopté cette stratégie (3). Aussi est-il surprenant de le retrouver sur une si petite plante, dans un lieu aussi insolite. La prédation de nématodes est très rare, et c’est la première plante de la famille des Plantaginacées qui présente cette adaptation : une vraie découverte pour les botanistes !
Pour aller plus loin :
Retrouvez cette plante et bien plus sur le compte twitter du Plantoscope.
1.Król, E. et al. Quite a few reasons for calling carnivores ‘the most wonderful plants in the world’. Ann Bot109, 47–64 (2012). (doi: 10.1093/aob/mcr249)
L’article principal traitant de Philcoxia minensis :
2. Pereira, C. G. et al. Underground leaves of Philcoxia trap and digest nematodes. PNAS 109, 1154–1158 (2012). (doi: 10.1073/pnas.1114199109)
3.Benzinq, D. H. The origin and rarity of botanical carnivory. Trends in Ecology & Evolution, 364–369 (1987). (doi : 10.1016/0169-5347(87)90137-6)