“Quelqu’un ira sur Mars, de mon vivant”, voilà le constat que je me faisais récemment en voyant Elon Musk défendre son génial projet Space-X permettant des allers-retours réguliers entre Mars et la Terre d’ici… 2030.
Alors oui, c’est très beau tout ça et nous avons actuellement les solutions techniques pour raisonnablement envisager pouvoir envoyer des humains sur Mars un jour, bientôt. Pourquoi pas établir une colonie ravitaillée plusieurs fois dans l’année, tant qu’à faire.
Mais pour pouvoir y rester, ma foi, le problème majeur sera de devenir autonome, de produire notre nourriture… donc de faire pousser des végétaux. Y sommes-nous déjà ?
Cette année, Scott Kelly, astronaute a bord de l’ISS a fait un gros buzz en déclarant avoir fait fleurir la première fleur dans l’espace.

S’il est tout à fait respectable d’avoir entretenu cette plante (Zinnia bicolor, de la grande et belle famille des Astéracées) sur une station spatiale, il n’est en revanche pas du tout le premier à faire fleurir une plante là haut. Bon, pour sa défense, peut être voulait-il dire, la première plante “ornementale”. A sa place, j’aurais été fière aussi. Car c’était vraiment mal parti et la survie de cette plante est uniquement due à ses initiatives de jardinage, totalement indépendantes de ce qui était prévu à l’origine dans les programmes de la NASA. L’histoire complète ici. Oui, on peut être astronaute et avoir la main verte.
J’ai donc eu envie de me renseigner un peu sur toutes les expériences qui ont été menées sur les végétaux dans l’espace. Oui, comme ça, par curiosité.
Pour pousser, une plante a besoin d’eau, de lumière et de nutriments, trois éléments qu’elle absorbe grâce à des structures bien déterminées, dont le développement est fortement influencé par la gravité.
Nous avons tous entendu parler de ces fameuses expériences sur le gravitropisme, démontrant que les plantes poussent toujours sur un axe haut/bas, indépendamment de l’inclinaison de leur support de croissance.
Sur cette image issue de travaux pratiques sur le gravitropisme, on peut voir des plantules d’Arabidopsis dont les boîtes ont été inclinées à 90°C après leur germination. Les racines subissent un gravitropisme positif (elles vont vers le sol), les tiges un gravitropisme négatif (elles s’éloignent du sol).

A première vue, il semblait donc que faire pousser des plantes dans l’espace serait très complexe étant donné la presque absence de gravité.
Pour simuler l’absence de gravité, les chercheurs ont d’abord utilisé des systèmes comme les clinostats, des appareils permettant de mettre les objets d’étude en légère rotation, afin d’annuler l’effet de la gravité qu’ils subissent.
Dès 1946, des graines de blé, de seigle, de diverses espèces d’arbres ont été envoyées à des distances suborbitales. Un séjour dans ces conditions n’affecte aucunement la germination de graines ayant brièvement séjourné en apesanteur. Rien que dans l’année 1960, des dizaines d’essais de vols ont été réalisés sur toutes sortes d’échantillons biologiques. La compilation de ces expériences est disponible sur le web !

La première plante à fleurir dans l’espace sera Arabidopsis thaliana en 1982, le modèle par excellence de la biologie végétale, à bord de la station soviétique Salyut-7. L’étude prouva que la plante se développait et formait des graines, viables bien que leur morphologie soit légèrement altérée.

La construction de la station spatiale internationale, en orbite permanente autour de la Terre fournit une opportunité extraordinaire pour étudier ces questions en situation de réelle microgravité, en assurant en plus la continuité des expériences et la synchronisation des résultats entre tous les pays contribuant à ce projet.
Depuis son lancement, les expériences se succèdent pour tester toutes sortes de paramètres sur la croissance, le développement, la physiologie et l’expression des gènes de plantes. Le site de la NASA regroupe pas moins de 60 projets expérimentaux différents dont la liste complète est disponible ici. Chaque jour apportant son lot de résultats.
Grâce au projet TAGES (Transgenic Arabidopsis Gene Expression System), notamment, qui exploite des plantes modifiées pour étudier visuellement l’expression de certains gènes via des rapporteurs fluorescents, nous savons à présent que les plantes n’ont au final pas autant besoin de la gravité que ce que nous imaginions, leurs racines étant capables de s’orienter seules… en percevant la lumière !
Les dernières innovations dans les modules de croissance des plantes, notamment le projet VEGGIE permettent aux astronautes de cultiver des légumes consommables à bord. Cette année, ils ont déjà pu profiter de leurs premières laitues 100% agriculture spatiale.

C’est encourageant dans l’optique de pouvoir un jour aller sur Mars, mais certaines espèces sont plus difficiles à cultiver que d’autres et le temps de la culture à grande échelle de produits frais sur l’ISS est encore malheureusement bien loin. Paradoxalement, peu de place dans l’espace ! Des chambres de culture de légumes plus performantes sont actuellement testées sous forme de prototypes.
Et le chemin à parcourir est encore long car, sur toutes les années d’expérimentation, l’on se rend compte qu’il manque dans la plupart des cas un contrôle fondamental : celui des plantes cultivées dans l’espace, mais soumises à une gravité artificielle similaire à celle de la Terre.
Ainsi, on ne distingue pas réellement les effets liés à la gravité, et ceux liés aux autres conditions du vol spatial (mauvaise circulation de l’air, stagnation de gaz comme l’éthylène, radiations, etc… )
Pour illustrer la nécessité de ces contrôles, voici un exemple publié dans une revue critique de l’expérimentation spatiale. Il s’agit de clichés d’hypocotyles d’Arabidopsis.

Figure B : Une plante cultivée à bord mais sous gravité artificielle, présentant la même courbure,
Figure C : le contrôle au sol, ayant une croissance normale. Dans ce cas, la courbure n’est donc pas liée à l’absence de gravité, mais bien à d’autres facteurs liés au vol spatial !
Refaire ces expériences avec des contrôles supplémentaires prendra encore du temps mais il y a matière à découvrir encore des choses passionnantes à l’avenir.
Il faut également souligner que ces dernières années, les expériences spatiales ont été menées en partenariat avec des écoles du monde entier, permettant d’allier recherche, expérimentation et apprentissage. Capitalisant les résultats à travers le monde tout en sensibilisant le jeune public aux sciences.
Pour le projet “Rocket Science” par exemple, 2kg de graines ayant séjourné dans l’espace ont été ramenées par Tim Peake pour tester la germination indépendamment dans 800 écoles anglaises.
Le projet “Seeds in Space” quant à lui impliquait des milliers d’élèves en Allemagne et aux Pays-Bas.
Toutes ces initiatives intéressent et rassemblent un nombre toujours croissant de personnes dans le monde !

Et donc, si on allait sur Mars, à la fin? A quoi cela pourrait-il ressembler?
Nous contenterons nous de faire pousser des légumes dans des modules adaptés ? Finirions-nous par terraformer Mars pour qu’elle devienne une jungle tropicale après quelques milliers d’années d’occupation?
Et si au contraire les plus sceptiques avaient raison et que ces projets n’aboutissaient jamais? Les efforts auront-ils été vains?
Compte tenu des avancées techniques et scientifiques réalisées dans ce seul objectif, j’ai du mal à me dire qu’il s’agit de “temps perdu”.
Réponse dans quelques années… en attendant, levons la tête et accordons nous le droit d’en rêver !



Pour aller plus loin, une vidéo très chouette de la Boîte à Curiosités et Superama Cosmos !
Un avis sur « Le végétal à la conquête des étoiles »