Cet article est une retranscription (et amélioration) de la chronique réalisée pour l’émission radio-dessinée de Podcast Science : Chronophoto – l’aura de Marey, et que vous pouvez réécouter ici :
Avant l’émission ci-dessus, que je vous recommande vivement, toute l’équipe de Podcast science a eu une visite du musée de la médecine de l’Université Paris-Saclay, et de l’exposition sur Etienne-Jules Marey. Pour celles et ceux qui ne le connaissent pas, il s’agit ni plus ni moins de l’inventeur de la chronophotographie, une technique qui permettra de décomposer les mouvements lents comme les mouvements rapides et qui est littéralement considérée comme les prémices du cinéma. Pas mal pour un scientifique, Hollywood n’a qu’à bien se tenir !
Dans cette expo, j’ai vu des chats, des oiseaux, des goélands photographiés sous tous les angles, des hommes habillés, des hommes en slip, des hommes tous nus qui font du sport… et ah. Une femme en costume antique. Une.
Ils avaient l’air de bien se… Marey, à l’époque.
Bref, j’ai pas vu de plantes et j’étais un peu déçue. Vous me connaissez. Pour faire ma chronique, j’ai donc du me rabattre sur une bonne vieille recherche google scholar, le moteur de recherche pour les publications scientifiques, et j’ai trouvé un article de 2012, d’un certain Oliver Gaycken de l’Université du Maryland intitulée “The secret life of plants: Visualizing vegetative movement, 1880–1903” (1). Je traduis pour les non-anglophones : “La vie secrète des plantes : visualiser le mouvement végétatif, entre 1880 et 1903.” et ça m’a donné quelques pistes. Merci Oliver.
Alors que les animaux font des mouvements trop rapides pour être perçus dans le détail par l’oeil humain, sans le décomposer – les plantes ont la désagréable habitude de bouger trop peu, ou trop lentement, pour être remarquées par l’oeil humain… Décomposer le mouvement a donc un intérêt non négligeable, non pas pour ralentir, mais au contraire pour… accélérer.
Et l’un des pionniers de la décomposition du mouvement des plantes n’est autre qu’un certain Charles Darwin, accompagné par son fils Francis. Dans leur 1er livre en 1865, intitulé “Sur le mouvement et les habitudes des plantes grimpantes” (2), et un autre plus tard en 1880 “Le pouvoir du mouvement dans les plantes” (3), ils utilisent une méthode décrite très précisément pour suivre le mouvement des végétaux.
Cette méthode a été reproduite récemment par l’Université de Cambridge, selon le protocole suivant (4):
Une aiguille de verre très fine, d’environ un centimètre de long, est fixée au limbe d’une jeune feuille à l’aide de gomme laque, épaissie et évaporée. L’extrémité de l’aiguille est ensuite trempée dans de la cire noire fondue, formant une petite perle qui sert de repère au cours de l’expérience.
La plante est ensuite placée au centre du dispositif et une carte blanche marquée d’un point noir est placée derrière elle, servant de point de référence. Enfin, une plaque de verre transparent est positionnée devant la plante afin de marquer ses mouvements.
L’expérience dure plusieurs heures, et par intervalles réguliers, un point a été marqué sur la plaque de verre, représentant la position de la perle noire par rapport au point de référence. Simultanément, une caméra à intervalle de temps prenait des photos toutes les deux minutes afin de capturer le moindre mouvement.
Si vous n’arrivez pas à vous représenter, ça devrait ressembler à ça :

À la fin, on obtient une sorte de tracé qui ressemble aux jeux à relier. Si, vous savez, après avoir complété le trajet numéroté au stylo, vous voyez une forme, et vous pouvez la colorier – ici vous voyez le circuit d’une partie de plante en accéléré, et là… surprise, les organes de plantes, tiges comme extrémités racinaires, ont un mouvement circulaire de rotation : la « circumnutation ».
Petit florilège des tracés obtenus par les compères Darwin :




Grâce à ces expériences audacieuses, Darwin et son fils prouvent au monde que les plantes bougent, et que ce n’est pas un cas isolé ! Les mouvements jour/nuit et les mouvements de rotation des lianes sont ainsi visibles, grâce à un dispositif simple, mais intelligent.
Mais quel lien avec Marey ? Au début du XXème siècle, ce cher Etienne-Jules décide d’installer sur l’actuel site du Parc des Princes un site d’expérimentation d’un nouveau genre, permettant de chronophotographier tout un tas de choses.
Entre 1898-1900, un certain Wilhelm Pfeffer, avec des chercheurs de l’Institut Marey compile des photographies consécutives pour générer les premiers timelapses scientifiques de croissance de plantes. Et c’est impressionnant pour l’époque !
Si on avance un peu dans la période, avec le développement de la photographie puis, plus tard, du cinéma, on obtient très rapidement des méthodes spectaculaires pour accélérer l’épanouissement des fleurs en images par image remises rapidement bout-à-bout, soit la technique du timelapse. Je vous laisse chercher sur youtube des extraits d’un timelapse de Percy Smith qui date de 1910.
Les techniques de décomposition du mouvement servent aussi à ralentir, et à décortiquer les mouvements rapides des rares plantes qui en font : notamment le Mimosa pudica, le mimosa pudique.
Ici, la vitesse réelle de fermeture :
Et un slow-motion pour ralentir ce mouvement impressionnant :
Au final, c’est en partie grâce à des pionniers comme Etienne-Jules Marey qu’on a produit des documentaires incroyables comme l’aventure des plantes des 1982 de Jean-Pierre Cuny (5), adaptée d’un livre du célèbre botaniste Jean-Marie Pelt. Ou plus récemment “The Green Planet”, une série de la BBC (6), qui ont poussé à l’extrême la façon dont on accélère la vie des plantes pour nous la rendre visite et nous rappeler qu’elles sont extraordinaires. Je vous recommande d’ailleurs les documentaires sur le making of du film, c’est vraiment passionnant.
Pour un récap de mes documentaires préférés sur les plantes, n’hésitez pas à consulter cet article.
Alors que maintenant on nous incite à décoller de nos écrans pour observer le monde en vrai, à la fin du XIXe et tout au long du XXe, la photographie, la chronophotographie, puis le cinéma nous ont permis de nous pencher sur pléthore de phénomènes naturels et d’éduquer des générations de jeunes et moins jeunes apprentis naturalistes… comme quoi, les inventions ne sont pas mauvaises en soi, il faut juste bien réfléchir à comment on s’en sert.
J’espère que ce petit article vous aura plu, et n’hésitez pas à aller voir l’exposition sur la chronophotographie à Paris ! Je vous quitte avec quelques photos pour vous en donner le goût !





Bibliographie :
- Gaycken, O. The secret life of plants: Visualizing vegetative movement, 1880–1903. Early Popular Visual Culture10, 51–69 (2012).
2. On the Movements and Habits of Climbing Plants – Wikiwand. https://www.wikiwand.com/en/articles/On%20the%20Movements%20and%20Habits%20of%20Climbing%20Plants.
3. Darwin, C. R. 1880. The power of movement in plants. London: John Murray. https://darwin-online.org.uk/content/frameset?itemID=F1325&viewtype=text&pageseq=1.
4. Recreating Darwin’s experiments. English Heritage https://www.english-heritage.org.uk/visit/places/home-of-charles-darwin-down-house/history/recreating-darwins-experiments/.
5. L’Aventure des plantes : https://www.wikiwand.com/fr/articles/L’Aventure%20des%20plantes.
6. The Green Planet – trailer : https://www.youtube.com/watch?v=FcnLPH11qJw
