Quand les botanistes voient double

Cette chronique a été rédigée pour Podcast Science, à l’occasion du Festival Double Science, organisé par le Café des sciences et la Société Française de Physique au Ground Control à Paris.

Vous pouvez réécouter cette chronique grâce au player embarqué sur cette page, ou l’écouter via notre site web podcastscience.fm.

Le vie marche souvent par paires :

Structure en double hélice de l’ADN – Wikicommons.
Schéma de la fécondation – Source : SVT-Diderot.fr

En biologie et en botanique, on voit beaucoup les choses par deux. Cela se voit de la plus petite échelle à la plus grosse :

  • la molécule de base du monde vivant, l’ADN est organisée en deux brins, enroulés en double hélice.

  • Il faut un gamète mâle et un gamète femelle pour féconder un oeuf, et beaucoup d’organismes du monde vivant fonctionnent selon cette répartition en deux sexes.

  • Les plantes à fleurs ont une petite spécificité supplémentaire puisqu’elles ont une double fécondation : dans le pollen se trouvent deux noyaux, le premier va féconder l’ovule, ce qui donnera l’embryon et l’autre va féconder le tissu de réserve que l’on appelle l’albumen – et qui donne à la graine des réserves pour germer, avant qu’elle ne développe ses premières feuilles.
Schéma de la double fécondation dans les plantes à fleurs. (Réadapté de Mariana Ruiz – Wikicommons)
  • A la germination, certaines plantes ont un cotylédon, d’autres deux… c’est d’ailleurs la différence qu’on utilise presque en premier pour séparer les deux grands groupes de plantes à fleurs : les monocotylédones ou les dicotylédones
Mémo visuel pour différencier rapidement les monocotylédones des dicotylédones

Et puis pour vous montrer que les traces de dichotomie sont partout, je vous propose de faire un petit voyage d’étymologie : la science de l’origine des mots. 

Digression : de l’utilité des langues « mortes »

Je vais faire un petit pas de côté pour vous raconter un peu ma vie ducoup – J’ai toujours rechigné à apprendre ces langues, les langues « mortes » : déjà, plus personne ne les parle, et en plus dans ma tête, ça ne servait strictement à rien. Lors de mon premier cours de latin en 5ème, la tête en l’air que je suis avait oublié son manuel à la maison. Honnête, j’informe mon enseignante et m’excuse de mon oubli auprès de cette nouvelle prof que je ne connais pas. Dans son immense sens de la pédagogie, elle m’a immédiatement donné deux fois deux heures de colle pour mon erreur et renvoyé de ce premier cours. Comme premier contact, il faut dire qu’on fait mieux : Non seulement je n’ai pas appris à mieux gérer mes deux hémisphères de cerveau et ma mémoire en forme de passoire, mais en plus je n’ai pas pu assister au premier cours, décisif, qui aurait pu me faire aimer le latin. Autant dire que le deuxième cours n’a jamais eu lieu : ni une, ni deux, j’ai abandonné la volonté de faire du latin avant même d’avoir eu l’occasion de découvrir le sujet. 

Et c’est bien plus tard que j’ai vraiment compris pourquoi les “langues mortes” étaient intéressantes. Les langues anciennes, ce sont les briques dont se construisent notre langage actuel, couche par couche. Dans un mot, on voit non seulement le sens présent, mais aussi le passé et l’histoire de ce mot.

Et ça, c’est beau.

 Avant que l’on ne puisse s’enorgueillir d’avoir un mot aussi compliqué que “anticonstitutionnellement” dans la langue française, il a fallu que l’humain construise les sons et les sens associés à ces nombreuses syllabes, qu’il les mettent ensemble et qu’un académicien décide un jour de l’ajouter au dictionnaire.  Vous vous rendez compte ?

En démarrant la botanique, j’ai un peu paniqué : les botanistes ont pour habitude de décrire des plantes avec du vocabulaire très précis, et parfois compliqué. Comment retenir tout ça ? En fait, pas besoin d’apprendre par cœur, il suffit de comprendre l’étymologie.

[Fin de la digression]

Les doubles mots de la botanique

Scilla bifolia – Scille à deux feuilles
CCBY2.5 – Bernd Heynold

Comme nous avons deux mains, deux pieds, deux jambes et sommes donc “bi-pèdes” (de “bis” = répétition, deux fois, et podos = pied… certaines plantes peuvent avoir deux feuilles. Elles sont bi-foliées.

Cosmos bipinnatus – Cosmos bipenné
CCBY3.0 – Kürt Struber
Rosa x damascena bifera : une rose de Damas qui fleurit deux fois.


Certaines sont découpées deux fois en feuilles plus petites : des folioles et des folliolules. On dit qu’elles sont bi-pennées (du latin pinna, la plume). Ces feuilles peuvent elles mêmes être disposées sur deux rangs et être bi-sériées.

Certaines vivent pendant deux belles saisons successives, elles sont bisanuelles. Une plante bi-fère fleurit deux fois dans l’année. 

D’autres portent toujours des fleurs par deux, elles sont bi-flores. Ces fleurs peuvent avoir des pétales divisés en deux, ils sont bi-fides, de “bis findo = fendre deux fois”. La corolle peut ressembler à deux lèvres, elle est “bi-labiée”. 

Deinanthus bifida
Plante d’ornement
Pearcea bilabiata
Plante d’Equateur

Certains des fruits ont deux compartiments ou deux locules, ils sont bi-loculaires. 
A droite, les siliques de la famille du chou comportent deux compartiments de graines, séparés le long d’une fausse cloison. Elles sont biloculaires.

Et ça marche aussi avec la racine “Di” qui veut simplement dire “deux”. On l’utilise en chimique pour les molécules : le “dioxygène” que nous inspirons est une molécule composée de deux atomes d’oxygène, le “dioxyde de carbone” que nous expirons et que les plantes absorbent lors de la photosynthèse est une équipe de deux atomes d’oxygène et un atome de carbone…  

Disamare d’érable
Salix discolor – saule à deux couleurs. Feuilles vertes sur le dessus, blanches sur le dessous.

Les fruits des érables dont on fait des hélicoptères sont ainsi des graines doubles et ailées, collées l’une à l’autre et qu’on appelle des “disamares”.
Une plante dont les feuilles auront deux couleurs sera di-scolore, des feuilles insérées sur la tige sur deux rangées opposées seront “di-stiques”… bref, vous voyez le principe. 

Une histoire de familles

Bien observer et bien décrire les plantes permet ensuite de les regrouper par dans des boîtes. C’est ce que font les naturalistes, botanistes y compris, de tous les pays depuis des siècles : ranger le vivant dans des boîtes. On appelle ça la taxonomie (certains disent taxinomies). Mais comment choisir le rangement ? Le plus facile pour ranger c’est d’utiliser l’aspect visuel des plantes. Logiquement, deux plantes qui se ressemblent fortement ont plus l’air d’être de la même famille que deux plantes qui ne se ressemblent pas du tout. Comme vous ressemblez plus à vos parents qu’à vos arrière-petits-cousins. On va donc les ranger dans des familles. 

Mais lorsque les débats sur la classification commencent, comment être sûr qu’on parle de la même plante à travers le monde ?
Si les noms communs peuvent désigner l’usage de la plante “Herbe aux verrues”, sa saison de floraison “Herbe de la Saint-Jean”… comment être bien sûr qu’on désigne la même plante alors qu’il y a tant de plantes qui se ressemblent ? 

Du nom vernaculaire, celui qu’on utilise dans la langue courante, on passe à des phrases en latin de description de la plante pour uniformiser. Mais c’est un peu long… 

C’est le botaniste Suédois Carl-von Linné, au 18ème siècle qui va proposer la solution en officialisant une liste de toutes les organismes connus à l’époque dans son “Systema naturae” en attribuant à chaque espèce un nom double : celui de son genre, et celui de son espèce. C’est la nomenclature binomiale, qui est utilisée par tous les scientifiques dans le monde à présent, mais véhicule un certain nombre des connaissances de l’époque où ils ont été établis. 

Ainsi, l’ “Oenanthe bisanuelle”  deviendrait donc Oenanthera biennis : du grec oinos (vin) et ther (ce qui attire), ce qui traduirait une “racine à la saveur vineuse” – et biennis pour son côté bisuannuelle, le fait qu’elle pousse sur deux saisons. 


La sauge utilisée en médecine par les gens du comment devient “Salvia officinalis” du latin salvare/sauver et officine/officina qui veut dire “fabrique” ou “atelier” et désignait la pharmacie.

Et dans ces noms de familles, de genres ou d’espèces, on trouve aussi des informations utiles. Par exemple, tous les noms qui finissent en “aceae” sont des noms de familles. Les noms qui finissent en a, en is ou autres sont plutôt des noms de genre. Quelques bases permettent de décortiquer même des noms compliqués ! 

Dichapetalum cymosus aux pétales découpés en deux – Flore du Botswana

La famille des Dichapetalaceae ont des pétales découpés en deux” pétala “pétales” -> “pétales divisés en deux”. Elle comprend 160 espèces et présente une grande distribution géographique. 

Dioncophyllum thollonii – extrémité des feuilles en crochet –
Source : J-Richard Abbott

Pour les Dioncophyllaceae, le nom vient du genre type Dioncophyllum, on fait référence composé des mots grecs δίς / dis, deux fois, ὄγκος / onkos, crochet, et φύλλον / phullon, feuille, en référence aux feuilles de certaines espèces du genre, munies, à leur apex, de deux crochets, leur permettant de grimper sur des végétaux hôtes.

Ca marche sur les genres aussi ! 

Ainsi le genre “Bidens” dans la famille de la pâquerette, les Asteraceae porte des fruits avec des harpons de deux dents, ou le genre Biscutella est composé de bi= deux, scutum = écu et “ella” qui est un suffixe féminin, pour dire que c’est petit. Ben oui, évidemment si c’est féminin c’est toujours diminutif… cela désigne le fruit de ces plantes, composées de deux parties rondes collées ensemble et qui colle assez bien. Dans la plupart des cas, comprendre un minimum d’étymologie nous renseigne sur les critères et les caractéristiques que les botanistes ont jugé important en les classant. Et c’est très pratique ! 

Bidens pilosa, aux fruits à deux dents – CC BY 2.0 – Harry Rose
Biscutella laevigata – des siliques à deux écus – CCBY2.0 – Rasbak

Du côté de la famille des “Diapensiaceae”, des plantes arctiques, j’ai vainement cherché l’étymologie car apparemment, ce nom viendrait d’une erreur d’orthographe de Leonhart Fuchs dans son Nouveau Kreuterbuch  (1543) – il voulait écrire “dispensia”, “libre de maladie”, mais ça a été reporté comme “Diapensia”… et répété. Comme quoi, même les sommités peuvent faire des erreurs ! 

Et il y a les faux amis : ainsi les Biebersteinaceae doivent leur nom au botaniste allemand Friedrich August Marschall von Bieberstein (1768–1826), tandis que les Bignoniaceae doivent leur nom au genre Bignonia, donné par Joseph Pitton de Tournefort (1656 – 1708) à son patron, le bibliothécaire de la cour Louis XV et prédicateur, Jean-Paul Bignon (Paris 1662-1743). Les Dicksoniaceae sont famille de fougères arborescentes tropicales, dont le nom vient de James Dickson botaniste écossais, tandis que les Didieraceae doivent leur nom au genre Didierea, nommé en l’honneur de l’explorateur français Alfred Grandidier (1836-1921). Les Dilleniaceae viennent du genre-type Dillenia nommé par Linné en hommage au botaniste britannique d’origine allemande Johann Jacob Dillenius (1684–1747), qui accueilli Linné à Oxford in 1736 et les Dioscoreaceae (la famille de l’igname) dons attribuées à Dioscoride – auteur du Materia Medica, un des ouvrages de médecine par les plantes le plus célèbre en Europe.

Le deuxième sexe et la botanique

D’ailleurs en parlant de noms de genres attribués à des personnes, je suis allé voir dans le tas combien il y en avait. Pour creuser un peu. Sur internet, j’ai trouvé la référence de 3899 noms de genres de plantes attribués à des personnes. Parmi cette liste de noms, seuls 2,2% font référence à des femmes ! Parmi ces 2,2%, plus de 80% ont été donnés à partir du 19ème siècle, une période à laquelle on peut considérer que les choses “changent” un peu pour les femmes botanistes.

Nombre de noms de plantes attribués en l’honneur de femmes, par siècles… il y a du progrès !

Et encore… parfois les noms sont attribués en l’honneur d’un couple de botanistes. Le plus souvent c’est le nom du mari, et pas le nom de jeune fille qui est utilisé. Avant cette période, quelques femmes nobles ou bourgeoises sont représentées dans les citations… au gré de quelques botanistes qui voulaient peut être leur conter fleurette ou trouver des financements ? On sait jamais, la flatterie, sur un malentendu… 

Pourquoi cette absence de noms de femmes dans la nomenclature ? Tout simplement parce que pendant longtemps, les femmes étaient exclues de cette discipline ! Déjà, elles étaient plutôt exclues des sciences, mais là rentrait un facteur supplémentaire : En plus de proposer la nomenclature binomiale, Linné a proposé un premier système de classification des plantes basé sur le sexe : le nombre d’étamines, les organes mâles – et le nombre de styles, la partie femelle. Il regroupait en 24 catégories les plantes selon le nombre d’organes mâles et femelles que les fleurs portaient. 

Catégories botaniques dans le système de Linné, basée sur le nombre d’organes mâles.

Un véritable scandale, tous ces mélanges ! Les di-andres ont deux étamines, les tétrandres en ont quatre, les dodécandres en ont vingt – les diadelphes ont des étamines réunies en deux faisceaux d’étamines, les plantes monoïques ont les deux sexes sur une même plante tandis que les dioïques ont des sexes séparés… c’est très intéressant tout ça, mais complètement indécent pour la gent féminine de cette époque. Elles sont reléguées au rang de “jardinières”, ayant accès à des ouvrages de vulgarisation édités par des hommes, la botanique savante restant réservée aux hommes, capables d’affronter tant d’impudeur. 

Ouvrage d’Auguste Batsch – à lire sur Gallica

Si les choses s’améliorent, les effets de cette ségrégation se ressentent encore dans le nombre de femmes botanistes, de l’académie au monde associatif, où les femmes sont encore minoritaires, surtout dans les postes à responsabilité. 

Dernière anecdote –  Puisqu’on parle de reproduction, vous saviez que la famille des Orchidaceae venait du genre “Orchis” – qui vient du grec órkhis = « testicule » ? La botanique est décidément très centrée sur la partie mâle de l’humanité…

De la botanique, on a souvent retenu une citation très connue de l’écrivain français, Alphonse Karr, qui disait que “La botanique c’est l’art de sécher les plantes entre des feuilles de papier et de les injurier en grec et en latin”. 

Comme c’est encore un homme dont on a retenu la citation, je me permet de donner moi aussi mon avis. Pour moi, la botanique c’est bien plus que ça, et ses pratiquants détenteurs d’une paire d’orkhis sont désormais priés de faire une place équitable aux représentantes de l’autre moitié de l’humanité.

Il est grand temps : aux plantes, citoyennes ! 

Biblio complémentaire :

La botanique redécouverte | Belin éditeur. (s. d.). Consulté 8 octobre 2023, à l’adresse https://www.belin-editeur.com/la-botanique-redecouverte

Meur, A. L. (2021, janvier 26). Le Siècle des Lumières |La botanique des femmes en Occident. Le Siècle des Lumières. https://lesiecledeslumieres.com/la-botanique-des-femmes-en-occident/

Pépy, É.-A. (2018). Les femmes et les plantes : Accès négocié à la botanique savante et résistance des savoirs vernaculaires (France, xviiie siècle). Genre & Histoire, 22, Article 22. https://doi.org/10.4000/genrehistoire.3654

Publié par Le Plantoscope

Diplômée de biologie végétale et ancienne chercheuse en biologie moléculaire et cellulaire, je suis maintenant dédiée à la vulgarisation scientifique autour de la biologie des plantes. Le Plantoscope est un outil pour voyager à travers les plantes et la botanique par des anecdotes et des explications simples et accessibles.

Laisser un commentaire