Bota ou IA ?

Une image de monstera à gauche et une fleur verte à droite générée par intelligence artificielle. Le titre : botanique ou intelligence artificielle

La « fleur squelette », « authentique » photo des réseaux sociaux.

Cette image a déferlé sur nos réseaux sociaux ces derniers mois comme une trainée de poudre… Il s’agirait d’une photo de Diphylleia grayi, la « fleur squelette ». Une plante venue d’Asie, dont les pétales deviennent totalement transparents sous l’effet de l’humidité. Une simple recherche sur internet nous renseigne sur le fait que le nom de la plante et ses propriétés existent bel et bien. La photo en revanche… est totalement fausse ! Elle a été produite par une intelligence artificielle générative, ces nouveaux outils permettant de produire des images sur la base de quelques lignes de texte. Truffées d’erreurs anatomiques et de bizarreries, ces fausses images d’illustration de la biodiversité posent de nombreuses questions éthiques et pédagogiques.

Alors comment ne pas tomber dans les pièges croissants des images générées par intelligence artificielle ?

Petit tutoriel d’autodéfense anti IA botanique.

Reprenons la fameuse photo ci-dessus. Ces derniers mois, internet en a été littéralement INONDÉ. On en trouve des versions sur facebook, sur instagram, dans tous les groupes de style « la nature est merveilleuse… ». Et devinez quoi ? Le nom de cette plante, et ses propriétés d’ailleurs, existent bel et bien. Sauf que les photos qui accompagnent les descriptions… varient beaucoup !
On peut faire un petit jeu : à votre avis, quel est le point commun de toutes ces images ?

Et non, vous l’aurez deviné, ce n’est pas de représenter la même plante… car la véritable plante, elle ressemble plutôt à ça :

Non, leur point commun c’est d’avoir toutes été générées par Intelligence artificielle générative. Un outil numérique permettant littéralement de créer une image à partir d’une consigne de texte, un « prompt » et d’une banque d’images gigantesque grâce à laquelle elle va reconstituer un visuel… plus ou moins réaliste.

Pour moi, c’était facile de reconnaître le pot-aux-roses, parce que je connaissais déjà cette plante pour m’être renseignée à son sujet en 2016, à l’époque où Twitter c’était encore bien. Mais comment faire pour ne pas tomber dans le panneau si vous ne l’avez jamais vue ?

-> Etape 1 : Copier coller le nom scientifique de la plante sur votre navigateur.

-> Etape 2 : Regarder si l’article Wikipédia correspondant à la plante a des photos par exemple, et si la majorité des images qui ressortent vous racontent bien la même chose que les photos du 1er inconnu sur internet…
En l’occurence l’article Wikipédia vous renseigne sur deux choses : non seulement la photo ne correspond pas vraiment à ce qu’on a vu précédemment, mais en plus, le nom scientifique de la plante a changé en 2006 pour Podophyllum grayi, les botaniste l’ayant rangé dans un autre genre botanique !

-> Etape 3 : Encore plus pointu, mais pas plus difficile, aller écumer des sites naturalistes et voir si les résultats d’observations correspondent.

Un exemple : sur le site iNaturalist qui compile des données mondiales d’observation d’espèces, en accès libre, vous trouverez les résultats suivants :

Vous pouvez également aller consulter des sites français comme PlantNet ici. Sur lesquels vous trouverez ces splendides observations en libre accès par Mango Don :

Cette première recherche simple vous indique en moins de 2 minutes que la plante existe bel et bien, mais que les photos ont l’air un peu… étranges.
Alors comment être encore plus attentifs à ces photos ? Là on peut se permettre de rentrer un peu plus dans des connaissances de botanique. Les plantes sont divisées et classées en familles, dont les caractéristiques sont souvent partagées entre les individus d’une même famille.

Vous pouvez l’observer par exemple sur la forme des fleurs, qui est souvent conservée dans la famille, comme on le voit très bien sur ce poster de la classification des plantes à fleurs (Angiospermes), téléchargeable gratuitement ici.

Comme la forme des fleurs est souvent similaire dans une même famille de plantes, on peut vérifier si celle-ci comme pour notre Diphylleia grayi. Une courte recherche m’indique que notre « fleur squelette » est de la famille des Berberidaceae. La fleur typique de cette famille, d’après mes livres de botanique, devrait avoir environ 6 pétales, par multiples de 3, 6 étamines et un carpelle, en bref.


Je vous remet un schéma de fleur si vous êtes perdus dans le vocabulaire, que vous pouvez également retrouver ici, dans cet article du Plantoscope.

D’après les photos de la plante, on devrait aussi avoir une grande feuille peltée, c’est à dire globalement arrondie, avec l’impression que la base passe en plein milieu.

Maintenant que nous savons ce que nous cherchons, je vous propose donc d’écumer la sélection de photos que l’on peut trouver de cette fleur sur internet, et de jouer au jeu des sept erreurs dans la galerie photo ci-dessous !

Voilà une bonne photo. Et même si ça paraît moins lisse et beau, ça n’enlève rien aux propriétés de cette plante, qui devient effectivement translucide avec l’humidité !

Cette propriété est due à la structure des pétales. Leur « porosité » permet à l’eau de pénétrer, ce qui créé un changement de l’indice de réfraction de la lumière; lui permettant de traverser. Ce qui a inspiré de nouveaux matériaux à transparence variable. Exemple dans cet article : https://pubs.acs.org/doi/abs/10.1021/acsami.0c13185

Avec des modifications de transparence induites par l’humidité, ou la température, comme dans cet article. De nombreuses applications peuvent être imaginées, pour ces matériaux qui transmettent mieux la lumière sous certaines conditions.


Pour finir cette exploration, je vous propose de faire un tour sur un autre des mes sites favoris. En consultant « Plants of the world online » des jardins botaniques de Londres, qui n’est ni plus ni moins que la base de données la plus complète et à jour sur les plantes du monde, je vais avoir d’autres renseignements !

Je trouve effectivement que le nom « Diphylleia grayi » est un synonyme de « Podophyllum grayi« , qui est le nom scientifique accepté de notre plante de nos jours. Les botanistes refont régulièrement la classification, et parfois les plantes changent de boîtes. Cette plante est désormais dans le genre « Podophyllum », comme me le disait l’article Wikipédia. (L’espèce acceptée est surlignée en bleu lorsqu’on fait la recherche).

Le site me donne également l’ère de répartition de ma plante – elle est native du Japon et de la région du Sakhaline en Russie. Les multiples posts facebook qui m’indiquaient qu’elle venait de Chine sont donc faux ! Si j’avais partagé, j’aurai diffusé une fake news botanique !

C’est donc une plante que je n’ai jamais vu en vrai, je vis trop loin – mais quelques minutes de plus sur internet m’auront permis d’en apprendre bien plus et de démêler le vrai du faux !

Cette tendance à la viralité des photos de nature en IA est assez préoccupante pour toutes les communautés naturalistes, mais aussi pour les enseignants, les élèves, les citoyens et citoyennes. Elles éloignent encore plus les gens de l’observation du réel et du terrain, et nous forcent à réagir à de la beauté spectaculaire et fictive plutôt qu’à nous familiariser avec les véritables êtres vivants qui peuplent notre environnement direct.

Désormais, c’est à vous de jouer ! Car ce ne sera pas la dernière fois que vous verrez des images générées par IA. Et chaque fois que vous les relayez, vous noyez les bonnes photos dans les algorithmes, rendant l’information toujours plus difficile à trouver, à moins de chercher au bon endroit. Donc même si ça vous étonne et que vous êtes enthousiastes… prenez le temps de vérifier avant de partager, ou demandez de l’aide ! 😉


Bonus pour vous récompenser d’avoir lu jusqu’ici : vous saviez que chez les Berberidaceae (comme le Mahonia faux-houx par exemple), les étamines BOUGENT quand on les touche ? Ça s’appelle la thigmonastie, et j’ai découvert ça par hasard. Maintenant vous sachez vous aussi. Reste à savoir si la « fleur squelette » a aussi cette faculté !


À très bientôt et de bonnes fêtes à tous et toutes !

Cet article a été rédigé à partir d’un fil Bluesky initial, que vous pouvez retrouver ici :

Bonjour tout le monde ! Aujourd'hui, on fait un petit exercice d'autodéfense botanique. Vous êtes prêt.es, allez, c'est parti ! Je vous présente Diphylleia grayi ! Une plante INCROYABLE qui devient TRANSPARENTE lorsqu'elle est mouillée. 🤯Déroulez le fil 🔽🔽🔽

Le Plantoscope (@plantoscope.bsky.social) 2025-01-18T01:38:24.624Z

Publié par Le Plantoscope

Diplômée de biologie végétale et ancienne chercheuse en biologie moléculaire et cellulaire, je suis maintenant dédiée à la vulgarisation scientifique autour de la biologie des plantes. Le Plantoscope est un outil pour voyager à travers les plantes et la botanique par des anecdotes et des explications simples et accessibles.

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